Un Giro 2016 à surprises…comme en 1991?

Coppino

Pourquoi ce titre ? Tout simplement parce que le Giro 2016, qui va commencer demain, a un parcours un peu ressemblant avec celui de 1991, avec un peu moins de montagne que l’an passé, même s’il est loin d’en être dénué, et aussi parce que tout semble réuni pour qu’un outsider puisse gagner. Quand je parle d’outsider, je pense évidemment à Mikel Landa, même si ce coureur a terminé troisième l’an passé (il aurait dû terminer second sans les consignes de son équipe Astana en faveur d’Aru), et même si ce coureur vient de remporter avec brio le toujours difficile Tour du Trentin. En outre, il aura aussi l’avantage d’être le leader désigné de l’équipe Sky, avec notamment Nieve pour l’accompagner en montagne. Bref, s’il est aussi fort que l’an passé, où il a causé quelques frayeurs à Contador, notamment lors de la dernière étape de montagne vers Sestrières, il pourrait rafler la mise au nez et à la barbe de celui que tout le monde désigne comme le super favori de ce Tour d’Italie, Vincenzo Nibali, qu’on ne présente plus puisqu’il a déjà gagné une fois les trois grands tours, ou encore Valverde, Uran, voire Majka.

Seul problème pour Landa, il y aura trois étapes c.l.m., même si l’une d’entre elles sera en côte entre Castelrotto et Alpe di Siusi (10,850 km). Il n’empêche, il y aura une étape très dangereuse pour lui le 15 mai, autour de Chinati, d’une longueur de 40,5 km, où il pourrait laisser beaucoup de plumes face à Nibali ou Valverde, pour ne citer qu’eux. Néanmoins, il sera quand même moins exposé dans cette étape que l’an passé dans une étape similaire face à Contador, ou qu’il aurait pu l’être si Froome était au départ de ce Giro. Cela étant, j’en ferais au moins mon favori bis, ce qui était impensable il y a à peine un an, avant précisément de se révéler dans ce Giro 2015. Et s’il l’emportait, ce serait quand même une surprise comme le Giro sait si bien nous en offrir de temps en temps, par exemple Hesjedal en 2012, ou encore Gotti en 1997 et 1999, sans remonter trop loin. Ce fut le cas aussi en 1991, avec la victoire de Franco Chioccioli devant Claudio Chiapucci (deuxième du Tour en 1990) à 3mn 48s, Lelli et Gianni Bugno, le vainqueur l’année précédente et qui sera sacré champion du monde en 1991 et 1992. Reconnaissons que Chioccioli avait fait fort pendant ce Giro, surtout si l’on pense qu’il porta le maillot rose de leader pendant 19 étapes sur 21, les deux autres leaders ayant été les Français Cassado (1ère étape) et Boyer (4è étape).

Chioccioli avait deux particularités, la première d’ordre physique pour sa ressemblance avec le grand Coppi, la deuxième étant qu’il n’avait rien gagné jusqu’à ses presque 32 ans au moment de sa victoire en rose. D’ailleurs, ses seuls résultats notables furent une Copa Sabatini en 1991, la Bicicleta vasca et une étape du Tour de France en 1992. C’est la raison pour laquelle certains dirent qu’il y avait du Walkowiak (Tour de France 1956) ou du Carlo Clerici (Giro 1954) dans ce succès…ce qui ne voulait pas dire que, comme pour ses deux compères, il ne l’avait pas mérité. La preuve, ses trois victoires d’étape à l’Aprica, au Pordoï et contre-la-montre entre Broni et Casreggio sur 68 km, où il laissa Bugno à presque une minute, ce que ni Walkowiak, ni Clerici, n’avaient fait lors de leur seule victoire majeure, où tous les augures furent pris en défaut. Sa domination fut d’ailleurs tellement évidente que nombre d’Italiens n’hésitèrent pas à le trouver encore plus ressemblant avec le Campionissimo…ce qui était quand même très exagéré, car seuls les traits du visage pouvaient susciter la comparaison. En tout cas, après cette victoire en rose acquise avec brio, on l’appela « Coppino », ce qu’on n’osait pas faire quand il était simple gregario de Saronni.

Si j’avais écrit cet article juste après ce Giro 1991 victorieux, j’aurais peut-être pu dire que seul un manque de confiance en lui l’avait empêché d’obtenir de meilleurs résultats jusque-là, et l’avait condamné à devenir un équipier fidèle, dans l’équipe Del Tongo, dont Saronni (vainqueur du Giro 1983 et champion du monde 1981) était la figure de proue. Hélas pour Chioccioli, son maigre palmarès après ce Giro victorieux nous laisse penser qu’il n’avait pas l’étoffe d’un crack. En revanche on l’a toujours bien aimé dans le milieu du vélo. Ce fils de paysan, membre d’une famille nombreuse, fut d’abord jugé trop chétif pour pratiquer un sport aussi dur que le vélo, quand il commença à s’y intéresser à l’adolescence, au point qu’on le retarda d’un an pour obtenir sa première licence. Ensuite il fut sérieusement malade et, comble de malheur, son père perdit la vie dans un accident de la circulation, en se rendant au départ d’une course. Bref, Chioccioli connut toutes les épreuves possibles et imaginables dans sa jeunesse, et sans doute en conserva-t-il des séquelles plus tard. Enfin pour couronner le tout, une fois professionnel, les Tours d’Italie de l’époque Moser-Saronni étaient surtout faits pour eux…qui n’ont jamais été des grimpeurs. En revanche en 1991 la montagne était bien présente, comme en témoigne le classement final de ce Giro avec Chioccioli, devant Chiappucci et Lelli, tous remarquables grimpeurs, sans oublier Gianni Bugno qui était un fuoriclasse.

En tout cas, Chioccioli avait vécu une bien belle aventure dans ce Giro 1991, contrairement à Claudio Chiappucci, héros du précédent Tour de France (deuxième derrière Lemond), qui était parti dans ce Tour d’Italie pour battre Lemond, Fignon, tous deux peu en forme ou malade, mais aussi Delgado et surtout Bugno, qui était devenu son ennemi intime. Problème, battre Bugno était loin d’être suffisant, et force est de reconnaître que Chiappucci, malgré ses talents d’escaladeur, n’était pas au niveau de « Coppino ». Il provoqua même la polémique, surtout chez les suiveurs français, en s’en prenant véhémentement à Eric Boyer dans la 17è étape, auquel il reprochait de ne pas le relayer dans sa chasse à Chioccioli, qui avait attaqué dans le Pordoi…alors que Boyer était bien incapable de relayer tellement il était à bout de forces. Chiappucci finit par le comprendre, mais le mal était fait pour lui, alors qu’il voulait passer auprès de tous, coureurs, suiveurs et spectateurs, pour un gentil bonhomme. Néanmoins, sans vouloir le défendre, force est de reconnaître que Chiappucci était en train de vivre une des plus grandes désillusions de sa carrière. De quoi être nerveux!

En plus cette algarade avec Boyer se situa après un premier épisode où Chiappucci passa déjà pour un coureur à qui on ne pouvait pas faire confiance. Ledit épisode se situa dans la 6è étape, où les organisateurs firent passer les coureurs dans un tunnel mal éclairé, ce qui entraîna une chute collective, laquelle déclencha le courroux des coureurs. Du coup, ces derniers décidèrent de neutraliser la course jusqu’à l’arrivée. Mais la tentation d’attaquer dans le Terminillo était trop grande pour certains, dont Chiappucci, ce qui mit très en colère nombre de coureurs dont Bugno et Delgado, ce dernier affirmant que Chiapucci n’était pas « un coureur fréquentable ». Chiapucci répliqua à Delgado en lui disant que si lui et Bugno n’ont pas répliqué à l’attaque du Colombien Cuspoca dans le Terminillo, c’était parce qu’ils n’en avaient pas les moyens, et que « s’ils voulaient la guerre, ils l’auraient et la perdraient ». En fait tous l’ont perdu, sauf Chioccioli.

Michel Escatafal


Le Tour d’Italie vu à travers l’alphabet

maillot roseCe samedi 9 mai 2015, va commencer la deuxième plus grande épreuve du calendrier cycliste international, le Tour d’Italie ou si l’on préfère le Giro. Un parcours long de 3486 kilomètres, un peu moins dur que certaines éditions, mais plus difficile que quelques autres, notamment à l’époque de Moser-Saronni, où les organisateurs escamotaient ce qui a fait la grande caractéristique de l’épreuve, la montagne. Cette année il y en aura encore pas mal, et, même si le parcours ne sera pas aussi difficile qu’en 2011 ou que dans certaines éditions des années 40 ou 50, il sera quand même exigeant avec 7 arrivées en altitude, l’ascension de cols mythiques comme le Mortirolo ou la Finestre, plus un contre-la-montre individuel de presque 60 kilomètres. Bref de quoi faire pour les coureurs, et de quoi aussi assurer un minimum de suspens pour la victoire finale, laquelle ne devrait pas échapper à Contador, sauf accident ou grosse défaillance. Néanmoins il devra faire attention à des coureurs comme Porte, devenu très bon en montagne et surtout très bien épaulé par son équipe Sky, ou comme Rigoberto Uran, sans oublier celui qui sera le favori des tifosi, Aru, révélation de l’an passé avec une troisième place au Giro et une cinquième à la Vuelta.

Voilà pour la présentation sommaire de cette course au maillot rose 2015, un maillot rose qui fait immédiatement penser aux Girardengo (2 fois vainqueur en 1919 et 1923), Binda (5 victoires dans les années 20 et 30), Bartali (3 fois vainqueur dans les années 30 et 40), Coppi (5 victoires entre 1940 et 1953), Magni ( 3 victoires entre 1948 et 1955), Koblet (premier étranger vainqueur en 1950), Gaul (2 victoires en 1956 et 1959), Anquetil (2 victoires en 1960 et 1964), Merckx ( 5 victoires entre 1968 et 1974), Hinault ( 3 fois vainqueur en 1980, 1982 et 1985), Fignon (premier en 1989), Indurain (vainqueur en 1992 et 1993) ou plus près de nous Contador qui l’emporta en 2008 et 2011. Encore une fois, je vais répéter que c’est Contador qui s’est imposé en 2011, même si le palmarès officiel (pour l’instant !) indique Scarponi.

Comme j’ai déjà beaucoup écrit sur le Giro, je vais me livrer à un petit jeu que l’on retrouve dans les journaux spécialisés avec pour chaque lettre de l’alphabet un coureur qui a marqué l’histoire du Giro et quelques autres que j’aurais pu inscrire sur le même plan. Je ne sais pas si toutes les lettres seront utilisées, mais je vais quand même essayer, en commençant par A comme Adorni, vainqueur en 1965. Vittorio Adorni fut un des champions italiens dans les années 60, remportant, outre le Giro, le Tour de Romandie (1965), le Tour de Belgique (1966), le championnat d’Italie en 1969, et le championnat du monde sur route en 1968. Un joli palmarès pour un coureur dont peu de monde se souvient en dehors de l’Italie, mais qui était un de ceux que craignait le plus Jacques Anquetil. A aussi comme Alavoine, qui fut le premier français à s’illustrer dans l’épreuve italienne, en terminant troisième en 1920.  A aussi comme Anquetil, mais l’extraordinaire rouleur normand a tellement fait parler de lui qu’il n’est pas la peine d’insister. A comme Armstrong qui ne courut le Giro qu’une fois (en 1969), et ne le gagna jamais.

B comme Bobet, qui n’a jamais gagné le Giro, mais qui aurait dû le gagner en 1957. Tous les ingrédients étaient réunis pour qu’il l’emporte, malgré un début de saison quelque peu laborieux. A la tête d’une forte équipe avec Geminiani, son fidèle Barbotin, Antonin Rolland et son frère Jean, on imaginait mal que le triple vainqueur du Tour soit battu. Il le fut pourtant, à la fois à cause de sa témérité, attaquant dès la première étape, prenant le maillot rose dès le début de la course, même si son but était de distancer Charly Gaul, vainqueur l’année précédente, avant la montagne. Cela pouvait très bien s’expliquer, mais un évènement aller déclencher la colère du grimpeur luxembourgeois qui avait le maillot rose sur les épaules. Bobet voulant à tout prix faire la peau de Gaul lança une bordure avec ses coéquipiers. Résultat, Gaul perdit 10 minutes, mais se promit de se venger. Il le fit un peu plus tard en soutenant à fond Nencini, suite à une crevaison de ce dernier immédiatement exploité par Bobet et Baldini. Mais comme Baldini était italien, il refusa de relayer Bobet, lequel finit par être rejoint par Nencini et Gaul juste avant l’arrivée. Sans les relais de Gaul, Nencini ne serait jamais rentré et aurait perdu 10 minutes, si l’on en croit Geminiani. Finalement Bobet perdra ce Giro pour…19 secondes. J’aurais pu aussi écrire B, comme Binda, comme Baldini, maillot rose en 1958, Balmanion, deux fois vainqueur en 1962 et 1963, Battaglin, vainqueur en 1981, un des rares coureurs à avoir fait le doublé Giro-Vuelta, Bitossi, l’homme au cœur fou, plusieurs fois meilleur grimpeur du Giro. Bien sûr, j’aurais aussi pu écrire B comme Bartali, dont j’ai très souvent évoqué le nom sur ce site.

C comme Coppi, comme Contador, ce qui est trop facile, mais plutôt C comme Clerici, cet inconnu suisse qui ne gagna pratiquement que le Giro en 1954, grâce à la bienveillance de son ami Koblet, qui, en grand seigneur qu’il était, se mit entièrement à la disposition de son compatriote, et termina à la deuxième place. C quand même comme Cippolini et ses quarante-deux victoires d’étapes.

D comme Di Luca, qui remporta le Giro en 2007, battant le jeune Andy Schleck, dont le jeune âge (22 ans à l’époque) laissait prévoir une grande carrière, qu’il ne fit pas malgré sa grande classe, se contentant d’une victoire dans Liège-Bastogne-Liège. C’est un petit palmarès pour un coureur de cette classe,alors que celui de Di Luca est beaucoup plus fourni, mais trop de zones d’ombre planent sur ses victoires au Giro et dans plusieurs grandes classiques pour qu’on insiste sur ces performances.

E comme Enrici, vainqueur du Giro en 1924, après avoir pris la troisième place en 1922. Ensuite il termina cinquième en 1926.

F comme Fuente, le remarquable grimpeur espagnol, vainqueur de deux Tours d’Espagne en 1972 et 1974. Il gagnera en tout neuf étapes dans le Giro, dont cinq lors du Giro 1974, qu’il terminera à la cinquième place à 3mn22s de Merckx, qui remportait son cinquième Tour d’Italie, après avoir subi une défaillance dans une étape de plaine qui lui coûta une perte de temps de six minutes sur le super champion belge. Il termina aussi second en 1972, laissant le maillot rose à Merckx. F aussi comme Fornara, remarquable rouleur italien qui termina sur le podium, comme nous dirions de nos jours, en 1953, ce qui signifie qu’il fut le meilleur derrière les deux supers cracks qu’étaient Coppi et Koblet. La preuve, si Coppi l’emporta avec 1mn29s sur Koblet, Fornara termina troisième à 6mn55s de Coppi, Bartali prenant la quatrième place à plus de 14mn du campionissimo. F comme Fignon évidemment, second en 1984, mais vainqueur en 1989.

G comme Girardengo, considéré comme le premier campionissimo de l’histoire du cyclisme italien. Il gagna deux Tours d’Italie en 1919 et 1923, remportant dans cette même épreuve 30 victoires d’étapes. Il fut neuf fois champion d’Italie, et s’imposa six fois dans Milan-San Remo entre 1919 et 1928, sans oublier ses trois victoires dans le Tour de Lombardie (1919, 1921 et 1922). A noter que, comme Coppi, il était né à Novi Ligure (1893). Il fut à son époque une véritable idole en Italie, et son palmarès serait beaucoup plus fourni sans la guerre de 1914-1918. J’aurais aussi pu citer Luiggi Ganna, premier vainqueur du Giro (1909), Charly Gaul et son fabuleux exploit dans l’étape du Monte Bondone en 1956, où il écrabouilla tous ses adversaires dans la pluie, la neige et le froid, bénéficiant aussi de l’astuce de l’ancien champion Learco Guerra (vainqueur du Giro 1934) qui lui fit prendre un bain chaud dans une auberge au pied du col. G encore comme Gimondi (triple vainqueur) qui, sans Merckx, aurait un palmarès extraordinaire. Cela dit, on n’oubliera pas qu’il récupéra injustement une victoire dans ce Giro en 1969, Merckx étant déclassé pour dopage…sans que personne n’ait pu démontrer sa culpabilité. Curieux que ce genre de choses arrive très souvent aux plus grands !

H comme Hampsten qui s’imposa en 1988, et devint le premier Américain à s’imposer dans le Giro. Sa victoire restera à jamais dans toutes les mémoires en raison des conditions dantesques qui régnèrent sur l’étape Valmalenco-Bormio avec un passage au sommet du fameux Gavia, col mythique s’il en est avec ses 17 kilomètres de montée à presque 8% de moyenne. Si Hampsten s’imposa dans ce Tour d’Italie, c’est parce qu’il sut mieux que les autres se protéger du froid intense (-5 °) qui régnait sur la région. Mais aussi grâce à une paire de lunettes de skieur pour y voir plus clair, ce qui lui permit de suivre le Néerlandais Erik Breukink, qui remporta l’étape, mais qui avait trop de retard au classement général pour s’emparer du maillot rose, lequel échut à l’Américain, au grand dam des Italiens qui voyaient déjà Chioccioli en vainqueur. J’aurais évidemment pu écrire H comme Hinault, mais ceux qui me lisent savent que j’ai souvent parlé du « Blaireau » sur ce site, lui qui figure juste derrière Merckx au classement des plus beaux palmarès. H aussi comme Hesjedal, premier Canadien vainqueur d’un grand tour, qui s’imposa dans le Giro 2012.

I comme Indurain, deux fois triomphateur de la grande épreuve italienne en 1992 et 1993, faisant aussi le doublé Giro-Tour au cours de ces deux années. Indurain figure parmi les plus grands champions de l’histoire du cyclisme, à la fois grand rouleur et grimpeur puissant, le meilleur de sa génération au début des années 90. C’est pour cela qu’on peut dire qu’il a gagné ses deux Tours d’Italie comme ses cinq Tours de France à la manière de Jacques Anquetil autrefois.

J comme Jalabert, qui aurait pu gagner le Giro 1999 si …Pantani avait été banni de la course pour un taux hématocrite trop élevé un jour plus tôt. Si j’écris cela, ce qu’on ne trouve nulle part ailleurs, c’est parce que Jalabert était le plus fort cette année-là, derrière le surpuissant Pantani, qu’il essaya en vain de suivre lors de l’étape qui arrivait à Madonna di Campiglio. Il y réussit pendant la plus grande partie de l’étape, mais il paya les efforts faits pour suivre « le Pirate » vers la fin de l’étape. Il avait remporté trois étapes, plus le classement par points et avait été maillot rose pendant six jours. Le vainqueur final sera le pâle Ivan Gotti (déjà vainqueur en 1997), de quoi donner des regrets à notre « Jaja » national.

K comme Koblet, premier étranger, comme je l’ai déjà écrit à remporter le Giro (1950). J’ai beaucoup écrit sur le Suisse, sans doute le seul coureur de son époque, dans ses meilleurs jours, capable de suivre le grand Coppi dans un grand tour. Qu’on se rappelle le Giro 1953, sans doute un des plus beaux duels que le cyclisme nous ait offert. Dommage que sa carrière ait été aussi courte, mais le bel Hugo, si bien gâté par la nature, ne savait pas résister aux tentations de la vie facile, difficilement compatible avec les exigences de la haute compétition. K comme Kubler, autre star suisse de l’époque, qui ne peut s’enorgueillir que d’une troisième place en 1951 et 1952.

L comme Le Mond, qui termina troisième du Giro en 1985, derrière Hinault et Moser, ce que nombre d’amateurs de vélo ont oublié. Cette place sur le podium préfigurait sa victoire dans le Tour de France 1986. Le Mond, dans le sillage de Bernanrd Hinault montait en puissance, comme on dit, mais dans ce Giro Hinault était encore le plus fort.

M comme Massignan, merveille de petit grimpeur italien, comme il le prouvera aussi dans le Tour de France en étant le lauréat du grand prix de la Montagne en 1960 et 1961. Il finira à la troisième place du Giro 1962, après avoir été quatrième en 1960 à l’âge de 23 ans. Hélas pour lui, il ne confirmera jamais les espoirs placés en lui, et son palmarès sera finalement très maigre. Evidemment j’aurais aussi pu écrire M comme Merckx, comme Motta, vainqueur du Giro 1966 (en montant « les cols en roue libre..quand Anquetil devait pédaler » aux dires de Geminiani), grand rival à l’époque de Gimondi, même si son palmarès ne le confirme pas malgré une victoire dans le Tour de Lombardie en 1964, le Tour de Suisse en 1967 et le Tour de Romandie 1971. M comme Mottet aussi, qui termina deuxième en 1990 derrière Gianni Bugno. M comme Moser évidemment, qui s’imposa dans la controverse face à Laurent Fignon en 1984, ce dernier s’estimant volé entre les changements de parcours et les poussettes non sanctionnées. Cela étant Moser figure parmi les grands du cyclisme pour l’éternité. M comme Magni aussi, surnommé « le lion des Flandres » pour ses trois victoires au Tour des Flandres entre 1949 et 1951, et vainqueur de trois Tours d’Italie en 1948, 1951 et 1955. (J’ai consacré deux articles sur lui sur ce site en 2012).

N comme Nencini, dont j’ai déjà parlé avec Louison Bobet, mais plutôt N comme Nibali, qui remporta son unique Giro à ce jour en 2013, dans une épreuve marquée par le mauvais temps. Nibali est aussi un coureur qui figure parmi les rares vainqueurs des trois grands tours avec Anquetil, Gimondi, Merckx, Hinault et Contador, même si son palmarès est encore très loin de celui de ses prédécesseurs.

O comme Oriani, vainqueur en 1913. C’était un excellent coureur avant la première guerre mondiale, puisqu’il inscrivit aussi à son palmarès  le Tour de Lombardie en 1912. Mais je préfère O comme Olmo, grand poursuiteur dans les années 30 et 40, recordman de l’heure en 1935 (45.090 km), champion d’Italie sur route en 1936, vainqueur de Milan-San Remo en 1938. Après sa carrière cycliste il créa une usine de bicyclettes à Celle-Ligure, devenu une des références dans le monde des cyclistes, notamment avec la gamme « Biciclissima ». O comme Ortelli qui finit à la troisième place en 1946, après avoir remporté une étape et porté le maillot rose six jours durant. Il est connu aussi pour avoir été un redoutable rival pour le grand Fausto Coppi en poursuite, puisqu’il l’a battu à deux reprises en 1945 et 1946.

P comme Petterson, Gosta de son prénom, vainqueur du Giro 1971, après avoir gagné le Tour de Romandie en 1970. Avec ses trois frères, il fut à trois reprises champion du monde amateurs du contre-la-montre par équipes pour le compte de l’équipe de Suède. Nul doute que s’il était passé professionnel plus tôt, son palmarès serait beaucoup plus étoffé.  P aussi comme un autre Suédois, Prim, qui eut la malchance en 1982 d’avoir à affronter Bernard Hinault, terminant second cette année-là comme la précédente. Evidemment j’aurais pu écrire P comme Pantani, qui réalisa le doublé Giro-Tour en 1998, et dont le nom résonne toujours aussi fort dans le cœur des tifosi, sans doute un des plus grands grimpeurs de l’histoire du vélo. P comme Panizza, qui courut dix-huit fois le Giro, ne l’abandonnant que deux fois, qui donna du fil à retordre à Hinault en 1980, le champion breton ne prenant le maillot que l’avant-veille de l’arrivée. P comme Pambianco, qui l’emporta en 1961 devant Jacques Anquetil, P comme Petacchi et ses vingt-deux victoires d’étapes.

Q comme Quintana. Le symbole du renouveau du cyclisme colombien a remporté l’an passé le Giro, première victoire pour lui dans un grand tour à l’âge de 24 ans, devant un autre colombien Rigoberto Uran. Quintana est pour beaucoup le futur grand crack du vélo sur route, parce qu’il est déjà au niveau de Contador ou Froome, beaucoup plus âgés que lui. Ce sera un des grands favoris du Tour de France, après avoir remporté cette année Tirreno-Adriatico.

R comme Rodriguez, deuxième du Giro 2012, qui court toujours après un succès dans un des trois grands tours nationaux. Comment a-t-il pu s’y prendre pour perdre le Giro 2012 ? J’aurais aussi pu écrire R comme Rominger, le meilleur coureur de sa génération derrière Indurain, vainqueur du Giro 1995 et de trois Vueltas. Mais surtout R comme Roche, le remarquable coureur irlandais, qui réussit la même année un exploit que seul Merckx réussit à accomplir, à savoir remporter le Giro, le Tour de France et le championnat du monde sur route. Dans le Giro 1987, il dut affronter dans sa propre équipe Carrera, l’Italien Visentini, chouchou des tifosi, fils d’un riche industriel, vainqueur du Giro 1986 devant Saronni et Moser. En fait, malgré un succès juste avant le Giro dans le Tour de Romandie, Roche devait aider Visentini à gagner son second Giro. C’était du moins l’intention de ses employeurs…qu’il contraria jusqu’au bout au point de s’imposer, malgré les demandes réitérées de respecter les consignes d’équipe.

S comme Saronni, vainqueur du Giro en 1979 et 1983. Grand rival de Moser à cette époque, il bénéficia de l’aide des organisateurs qui avaient tendance à faire des parcours sur mesure pour les deux champions italiens. Et comme ils n’avaient rien de grimpeurs ailés, on se retrouva avec des parcours que nombre d’observateurs jugeaient indignes du Giro, la montagne faisant partie intégrante de sa légende. S aussi comme Simoni et Savoldelli qui s’imposèrent tous deux à deux reprises entre 2001 et 2005.

T comme Tonkov, deuxième coureur russe, après Berzin (1994), à remporter le Giro. Il s’imposa en battant l’Italien Zaina et Abraham Olano, lequel portait le maillot de champion du monde sur les épaules. Tonkov, qui fit la totalité de sa carrière en Italie, se classera neuf fois dans les dix premiers entre 1992 et 2002. Il aimait manifestement le Giro, plus que le Tour de France qu’il ne termina jamais les trois fois qu’il le courut. T comme Taccone aussi, petit grimpeur italien de grand talent, surnommé « le grimpeur des Abbruzes », qui remporta le grand prix de la Montagne en 1963. T aussi comme Vincenzo Torriani, inamovible directeur du Giro entre 1948 et 1993, au chauvinisme exacerbé aux yeux de certains, comme on a pu le constater à travers l’absence de sanctions pour les coureurs bénéficiant de poussettes, ou, comme je l’ai indiqué, pour faire des parcours sur mesure au profit des coureurs italiens.

U comme Ugrumov, coureur anciennement soviétique originaire de la Lettonie dont il porta les couleurs à partir de 1991. Il termina à la seconde place du Giro 1993 derrière l’intouchable Indurain, et finit troisième en 1995 derrière Rominger et Berzin.

V comme Valetti, vainqueur en 1938 et 1939, en devançant cette année-là Gino Bartali. V comme Van den Bossche, un des meilleurs lieutenants d’Eddy Merckx, qui accompagna tellement bien son leader dans les cols italiens en 1970, qu’il s’offrit le prix du meilleur grimpeur, et termina à la troisième place derrière Gimondi et Merckx. V aussi comme Van Steenbergen, un des meilleurs routiers-sprinters de l’histoire, triple champion du monde sur route, remarquable pistard, qui termina à la deuxième place du Giro 1951, derrière Magni (à 1mn46s) et devant Kubler. Un coureur beaucoup plus complet que ce que l’on peut imaginer.

W comme Weylandt, qui hélas mourra des suites d’une chute terrible, dans une descente à 25 km de l’arrivée, lors de la troisième étape de l’édition 2011. Un drame du vélo qui rappelle à ceux qui ne parlent de ce sport qu’à travers les affaires de dopage, que le cyclisme de haute compétition est à la fois très dur et très dangereux, et que, rien que pour cela, il mérite infiniment plus de respect que ne lui en accordent généralement les pourfendeurs du vélo n’ayant jamais pu monter la côte de l’église de leur village.

Y comme Yates. Cet ancien bon coureur britannique, qui a longtemps été directeur sportif de l’équipe Sky (Wiggins, Froome), a participé à trois Tours d’Italie (1987, 1989 et 1992), mais ne termina que l’édition 1992 à une modeste 87ème place. Cela dit, il est quand même resté un personnage important du vélo puisqu’il est aujourd’hui dans l’encadrement de l’équipe Tinfoff-Saxo d’Alberto Contador,  Ivan Basso (double vainqueur en 2006 et 2010), Roman Kreuziger et Michael Rodgers, qui accompagneront leur leader sur le Giro qui commence aujourd’hui.

 Z comme  Zilioli, qui termina à trois reprises second du Giro, dont une fois (1964) derrière Jacques Anquetil à seulement 1mn22s du Normand, la différence se faisant sur les 50 km de l’étape c.l.m. entre Parme et Busseto. Il sera deuxième aussi en 1965 et 1966, mais aussi troisième en 1969. C’était aussi un excellent coureur dans les courses d’un jour, ayant remporté entre 1963 et 1973, la quasi-totalité des semis-classiques italiennes.

Voilà un petit résumé de l’histoire du Giro à travers les noms de coureurs plus ou moins inconnus de nos jours, de champions qui ont brillé sur l’épreuve phare italienne, de grands champions qui l’ont emporté une ou plusieurs fois, et de superchampions qui se sont adjugé la victoire dans plusieurs grands tours pour ne pas dire les trois.

Michel Escatafal


La trilogie des Ardennaises (Partie 1)

kublerAvec Paris-Roubaix s’est achevée la première partie de la saison des classiques printanières celles qui, après Milan-San Remo, s’adressent prioritairement aux hommes durs au mal, capables de passer les secteurs ou monts pavés les plus épouvantables. Cette première partie a démontré, si besoin en était, que Cancellara reste l’homme fort des courses d’un jour, comme en témoigne le classement UCI, où il occupe la deuxième place (derrière Contador), mais la première si on ne prend en compte que les classiques. Il est vrai qu’entre ses places à Milan- San Remo (second), à Paris-Roubaix (troisième) et sa victoire dans le Tour des Flandres, son bilan est plus que positif. Et, en dépit de ses 33 ans, il reste encore très au-dessus de ses rivaux plus jeunes, Terpstra (30 ans) malgré sa victoire à Roubaix dimanche dernier, VanMarcke (25 ans), Sagan (24 ans) ou Degenkolb (25 ans), ce dernier s’annonçant comme le futur maître des classiques, comme il l’a prouvé en ayant déjà remporté Paris-Tours l’an passé et Gand-Wevelgem cette année. J’espère au passage que le champion suisse saura se ménager une plage en fin de saison pour enfin s’attaquer au record de l’heure, sous peine de voir le champion du monde c.l.m., Tony Martin, le pulvériser avant lui, d’autant que Martin fut un excellent pistard. Et puisque je parle de pistard, j’en profite pour saluer la neuvième place de Wiggins à l’arrivée de Paris-Roubaix, une performance qui m’étonne beaucoup moins que ses victoires en 2012 dans le Dauphiné et le Tour de France, même si cette victoire dans le Tour aurait dû revenir à Froome.

Fermons la parenthèse et revenons à présent à la deuxième partie de ces classiques du printemps, formée de ce que l’on appelle « les Ardennaises », en raison de leur localisation géographique dans des secteurs beaucoup plus accidentés, qui conviennent beaucoup mieux aux coureurs à étapes. Ces classiques ardennaises sont au nombre de trois aujourd’hui, en fait depuis 1966 et la création de l’Amstel Gold Race, qui se situe à présent le dimanche précédent la Flèche Wallonne et Liège Bastogne Liège. A noter qu’à une époque la Flèche Wallonne et Liège Bastogne Liège avaient lieu l’une après l’autre, la première le samedi et l’autre le dimanche, ce qui permit de faire un classement d’ensemble aux points, entre 1950 et 1964, appelé le « Week-end ardennais », très prisé par les coureurs et les suiveurs. Le premier vainqueur en fut le Belge Raymond Impanis puis, en 1951 et 1952, le Suisse Ferdi Kubler qui, grâce à ses deux succès consécutifs, confirma qu’il était un très grand champion après sa victoire dans le Tour 1950, ou son titre mondial conquis en 1951. Il est vrai qu’il ne pouvait que sortir vainqueur de ce « Week-end ardennais » en 1951 et 1952, dans la mesure où il avait remporté les deux épreuves. Stan Ockers et Fred De Bruyne feront aussi le doublé, respectivement en 1955 et 1958. Enfin, quatre coureurs ont remporté ce trophée, sans avoir gagné ni l’une ni l’autre des deux épreuves. Il s’agit d’Impanis en 1950, Jean Storms en 1953, Frans Schoubben en 1959, et Rolf Wolfshohl en 1962, ce dernier ayant terminé ex aequo avec Dewolf, mais lui avait gagné la Flèche Wallonne.

Voilà pour la petite histoire du « Week-end ardennais », dont on ne parle plus aujourd’hui. Cela me permet de noter qu’ils sont six dans l’histoire à avoir remporté les deux épreuves en suivant, à savoir outre Kubler, Ockers et De Bruyne, l’inévitable Eddy Merckx en 1972, puis Moreno Argentin l’Italien en 1991, et Alejandro Valverde en 2006. Mais deux autres coureurs ont encore fait mieux qu’eux en remportant en plus l’Amstel Gold Race, Rebellin en 2004 et Philippe Gilbert en 2011, sa grande année. Exploit, il faut bien le dire extraordinaire, puisque Rebellin et Gilbert ont gagné ces trois épreuves en une semaine.

L’Amstel Gold Race est la première course de cette trilogie. Elle doit son nom à une marque de bière et fut créée en 1966, comblant un vide puisque les Pays-Bas, grand pays de cyclisme s’il en est, n’avait pas de grande classique à son calendrier. Elle a été remportée à deux reprises par un Français, d’abord par Jean Stablinski qui inaugura le palmarès, et par Bernard Hinault qui battit au sprint, en 1981, un peloton où il domina notamment Roger de Vlaeminck, coureur qu’il battra quelques semaines plus tard sur le vélodrome de Roubaix. A noter que les routiers des Pays-Bas sont prophètes en leur pays, puisqu’ils l’ont emporté à 17 reprises (Knettemann en 1974, Raas en 1977, 78, 79, 80, et 82 qui est le recordman des victoires, mais aussi Zoetemelk en 1987 etc.) contre 11 seulement aux Belges, dont Eddy Merckx en 1973 et 1975, mais aussi Maertens en 1976, Johan Museeuw en 1994 et Philippe Gilbert en 2010 et 2011 dont j’ai déjà parlé, et 6 aux Italiens ( Zanini, Bartoli, Di Luca, Rebellin, Cunego et Gasparotto).

L’histoire de la Flèche Wallonne est évidemment beaucoup plus ancienne puisque sa première édition eut lieu en 1936, créée par le journal Les Sports. Elle se fit très rapidement une place parmi les grandes classiques belges, et s’adresse à des coureurs nécessairement complets. C’est d’ailleurs à cause de ses difficultés et de son palmarès qu’elle a gardé son prestige, bien que sa distance soit réduite à 200 km depuis la fin des années 80. Elle a lieu à présent le mercredi, entre l’Amstel et Liège-Bastogne-Liège. Comme dans les deux autres classiques ardennaises, on retrouve parmi les vainqueurs des coureurs de grands tours, ce qui explique la qualité de son palmarès. Van Steenbergen, Coppi qui l’emporta après un raid de 100 km en 1950, Merckx, Van Looy, Zoetemelk, Moser, Saronni, Argentin, et Armstrong l’ont gagnée. Elle plaît bien également aux Français puisque Poulidor en 1963, Laurent en 1978, Hinault en 1979 et 1983, Fignon en 1986, J.C. Leclercq en 1987, Laurent Jalabert en 1995 et 1997 en ont été vainqueurs.

Ses nombreuses cotes, moins dures dans l’ensemble que celles de Liège Bastogne Liège, font qu’autrefois on comparait volontiers « la Flèche » à une immense scie. En outre, il y a une grosse difficulté qui généralement fait la sélection depuis que le parcours a été remodelé en 1983, à savoir le Mur de Huy (1,2 km avec un passage à 22%), escaladé trois fois, et où se trouve aujourd’hui la ligne d’arrivée. Cette arrivée convient évidemment à des coureurs capables de grimper, mais aussi et surtout à des puncheurs comme Rebellin (3 fois vainqueur entre 2004 et 2009), comme Gilbert (vainqueur en 2011) ou encore les Espagnols Rodriguez et Moreno, vainqueurs respectivement en 2013 et 2014. A propos de Rodriguez, je voudrais dire que c’est quand même le seul vrai « grimpeur » vainqueur de la Flèche Wallone…depuis 1996, époque où Armstrong n’était pas encore l’escaladeur qu’il fut plus tard dans le Tour, lui-même succédant à un autre coureur capable de grimper les cols avec les meilleurs, Laurent Fignon en 1986.

A ce propos, je voudrais évoquer une victoire quelque peu oubliée, le premier triomphe de Bernard Hinault en 1979, qui le consacrait définitivement comme un super champion, après avoir déjà remporté auparavant le Tour de France 1978, mais aussi Liège-Bastogne-Liège en 1977. Cette année-là Hinault avait démarré sa saison dans la discrétion par manque d’entraînement, et ses supporters et son entourage attendaient qu’il frappe enfin un grand coup dans les classiques ardennaises. Et ce fut le cas dans la Flèche Wallone, sur un parcours qui, pourtant, ne l’avantageait pas parce que moins dur que précédemment. Mais Hinault, comme Merckx auparavant, était un coureur très complet, et il allait le prouver en s’imposant au sprint, après avoir réduit au supplice dans les derniers kilomètres des coureurs comme Thurau, Lubberding, De Wolf ou Martens, ce qui lui avait permis de rejoindre seul, à quelques encablures de l’arrivée, Johansson et l’Italien Saronni, ce dernier réputé pour être très rapide au sprint. Il se croyait d’ailleurs tellement supérieur à ses derniers accompagnateurs, qu’à moins de cinq cents mètres de l’arrivée il se porta en tête, sûr de sa force, mais Hinault surgissant de l’arrière plaça son attaque, débordant le coureur transalpin. Surpris, ce dernier se lança à sa poursuite et reprit très vite les deux longueurs de retard qu’il comptait sur Hinault, mais ce dernier en remit une couche supplémentaire et Saronni, asphyxié, se retrouva de nouveau avec deux longueurs de retard sur la ligne d’arrivée. Le « Blaireau » venait de gagner sa troisième classique belge (après Gand-Wevelgem et Liège-Bastogne-Liège en 1977), et surtout venait de faire taire ses détracteurs et ceux qui commençaient à douter de lui. Il remportera de nouveau la « Flèche » en 1983, juste avant sa deuxième Vuelta victorieuse.

 Michel Escatafal


Laurent Fignon appartient à la grande histoire du Giro (Partie 1)

maillot roseComme je l’ai déjà souvent écrit sur ce site, le Giro est l’épreuve la plus importante du calendrier cycliste international juste après le Tour de France, après avoir fait jeu égal avec ce dernier jusque dans les années 50. Il est vrai qu’après-guerre le cyclisme était dominé par les deux immenses vedettes qu’étaient les Italiens Bartali et Coppi, vainqueurs à eux deux de huit Tours d’Italie (cinq pour Coppi et trois pour Bartali). Il est vrai aussi que pour des grimpeurs de leur calibre, ce grand tour généralement très montagneux était une aubaine, avec des ascensions mythiques comme le Stelvio, appelé la montagne de Coppi, où Coppi remporta le plus beau duel de l’histoire du cyclisme face à Hugo Koblet en 1953, et où Hinault conquit son premier Giro avec l’aide de Bernaudeau, le Monte Bondone où Charly Gaul, surnommé l’Ange de la Montagne, réalisa son plus bel exploit en 1956, ou encore les Tre Cime de Lavaredo, où Merckx s’imposa en 1968 en laissant Gimondi et Ocana à plus de six minutes, ce même Merckx réussissant quatre ans plus tard au même endroit à conserver son maillot pour quelques secondes face à un Fuente déchaîné, sans oublier le Mortirolo qui révéla Pantani en 1994.

Si j’évoque ces exploits, c’est pour bien montrer que la montagne dans le Giro, plus encore que dans le Tour de France, est généralement l’endroit où s’expriment le mieux les champions qui ont fait la légende et la gloire du vélo. Parmi ceux-ci, force est de reconnaître que ce n’est pas pour rien si nombre d’observateurs, notamment les anciens champions qui ont le recul nécessaire pour éventuellement faire des comparaisons, considèrent que les deux campionissimi sont sans doute les meilleurs grimpeurs que le cyclisme ait connu. La preuve, Bartali a remporté sept fois le grand prix de la Montagne dans le Giro et Coppi trois fois, à une époque où ce  prix (sans maillot distinctif) avait une signification qui n’existe plus de nos jours dans les grandes épreuves par étapes. Pour preuve, lors des derniers grands tours, ni Contador, ni Andy Schleck, ni Rodriguez, ni plus récemment Froome, n’ont jamais remporté le maillot distinctif de meilleur grimpeur, alors qu’ils sont de très loin les meilleurs escaladeurs de l’actuel peloton.

Le Giro fut souvent sujet à polémiques

Fermons la parenthèse pour dire que, dans son histoire, il est arrivé que le Giro soit très édulcoré en ce qui concerne la montagne…pour favoriser les coureurs italiens, comme par exemple en 1979 où Saronni qui n’était pas un grimpeur l’a emporté devant Moser qui ne l’était pas plus que lui. Et si nous parlons de Moser, c’est pour évoquer celui qui fut privé de la victoire dans le Giro 1984, Laurent Fignon. Ce dernier, qui avait remporté le Tour de France l’année précédente en l’absence de Bernard Hinault, était incontestablement le meilleur coureur cette année-là. La preuve, il allait écraser ses adversaires dans le Tour de France quelques semaines après ce Tour d’Italie, qu’il aurait remporté à coup sûr sans un coup de pouce de l’organisation. Et oui, c’était aussi ça le Giro, ce qui explique qu’il ait fallu attendre 1950, et la victoire d’Hugo Koblet, pour qu’un étranger arrive à s’imposer.

En 1984, l’Italie était folle d’un coureur, Francesco Moser, qui, à 33 ans, avait battu par deux fois en janvier le mythique record du monde de l’heure de Merckx, à Mexico (en altitude), sur une machine révolutionnaire, et avec une préparation scientifique très évoluée pour l’époque. Ensuite il s’était imposé sans réel problème dans la classique italienne Milan San Remo, en s’échappant dans la descente du Poggio. Et pour couronner le tout et finir de mettre en transes les tifosi, il fallait que le « Checco », comme on l’appelait, remportât le Giro, succès après lequel il courait depuis des années. Pour cela, après avoir dessiné un parcours assez allégé par rapport à la tradition, tous les moyens allaient être bons pour l’organisateur afin de favoriser le champion italien. Francesco Moser était certes un grand champion, vainqueur de nombreuses grandes classiques et ancien champion du monde sur route et de poursuite, mais il ne grimpait pas assez bien pour espérer gagner un grand tour.

Et pourtant il y parvint, aux dépens de celui qui devait être le successeur de Bernard Hinault, notre Laurent Fignon national, mais à quel prix? En fait, cette édition du Giro fut celle de la honte, au point qu’un coureur italien, Visentini, lui-même vainqueur du Tour d’Italie un peu plus tard (1986), préféra se retirer de l’épreuve quelques jours avant la fin, dégoûté par la manière dont les choses se passaient. Toutefois il faut reconnaître que même sans les coups de pouce de l’organisateur (Torriani), Laurent Fignon aurait quand même dû l’emporter, sans une terrible défaillance lors de la cinquième étape dans le Blockhaus de la Majella, où il perdit deux minutes sur Moser. Cette montée, qui est loin de comporter de forts pourcentages comme en témoigne la victoire de Moreno Argentin lors de cette étape,  fut en effet fatale au coureur français en raison d’une crise d’hypoglycémie comparable à celle que subit Contador lors de l’avant-dernière étape de Paris-Nice en 2009. Chacun sait, y compris au plus bas niveau de la compétition, que cela ne pardonne pas, et que l’on peut perdre un temps considérable en quelques kilomètres pour peu que la route s’élève.

Cependant jamais Moser n’aurait dû finir par s’imposer, car Fignon était incontestablement le plus fort. Mais, encore à cette époque, un coureur non-italien devait non seulement être au-dessus du lot pour s’imposer dans le Giro, mais aussi savoir déjouer cette sorte d’union sacrée qui permettait à un coureur italien bien placé au classement général de bénéficier de l’aide de ses compatriotes. Bien d’autres avant Fignon en avaient fait les frais, notamment Louison Bobet en 1957 qui perdit contre Nencini pour 19 secondes, Baldini avouant à la fin de l’étape de Trente (la dix-huitième) que, s’il avait relayé Bobet échappé avec lui, c’était la pendaison qui l’attendait. En outre, toujours dans ces temps éloignés, les voitures ne se gênaient pas pour aider des coureurs à revenir sur des fugitifs, surtout s’ils étaient étrangers et en lice pour le maillot rose, sans parler évidemment des poussettes dans les cols. Autant d’éléments inconnus aujourd’hui, mais bien présents jusque dans les années 80.

Michel Escatafal