Laurent Fignon appartient à la grande histoire du Giro (Partie 2)

FignonLe duel Moser-Fignon

Aujourd’hui je voudrais commencer cet article sur le Giro en parlant du duel entre Fignon et Moser en 1984, en notant que ce dernier a souvent été au point de rupture, et qu’il fut sauvé par l’organisation de la course. D’abord celle-ci décida de laisser faire lors d’une grève décidée par les coureurs italiens dans la septième étape, sous prétexte d’une chute collective dans un tunnel mal éclairé, juste avant la très dure côte de Pisticci, un endroit très favorable pour une attaque de Laurent Fignon. Ensuite, et c’est là sans doute le fait le plus grave, la direction de course décida purement et simplement d’annuler l’ascension du célèbre Stelvio, prévu dans le parcours de la dix-huitième étape, sous le fallacieux prétexte que la route était impraticable en raison de la neige. Or de neige, il n’y avait point. Mais pire encore si c’était possible, l’itinéraire de remplacement fut amputée de l’Aprica et c’est Leali, plutôt un sprinter, qui remporta ce qui était considéré comme la grande étape des Dolomites !

Devant des faits aussi graves, Cyrille Guimard voulait quitter la course, mais pas son sponsor, d’autant qu’il restait encore une étape de montagne, entre Selva di Gardena et Arraba. Fignon, comme à son habitude, attaqua son rival et lâcha tous ses adversaires pour finir détaché après une échappée solitaire de 50 kilomètres, prenant plus de deux minutes à Moser et le maillot rose. En fait Moser fut en perdition une bonne partie de la journée, et s’il limita son déficit à seulement 2mn 19s c’est tout simplement parce qu’il bénéficia de multiples poussettes dans les montées, ses supporters se relayant en chaîne pour l’aider à grimper vers le sommet, et de la collaboration des coureurs italiens qui l’accompagnaient, lesquels récitaient encore sans sourciller la partition de Fiorenzo Magni (triple vainqueur du Giro entre 1948 et 1955), exhortant les coureurs italiens à s’entendre pour qu’un des leurs l’emporte.

Après cet exploit, Laurent Fignon prenait le maillot rose, et se retrouvait nanti d’un capital assez confortable (1mn 21s) avant la dernière étape contre-la-montre de 42 km entre Soave et Vérone, bien qu’il eût été pénalisé de dix secondes pour un ravitaillement illicite, alors que Moser n’avait encouru que cinq secondes de pénalité pour les multiples poussettes dont il avait bénéficiées. Cela n’allait pas être suffisant, en raison d’une part de la différence de matériel entre les deux hommes, Fignon utilisant un vélo normal alors que Moser disposait d’un vélo révolutionnaire pour l’époque avec un cadre plongeant et deux roues lenticulaires, mais aussi sans doute de l’aide de l’hélicoptère, dont les mauvaises langues dirent qu’elles avaient propulsé le coureur transalpin à une vitesse qu’il n’aurait jamais atteinte sans ce concours. Résultat, Moser remporta le Giro avec 1mn 03s d’avance sur Fignon…ce qui relevait de la plus cruelle injustice, même si la vraie différence s’était faite dans la montée du Blockhaus où Fignon avait été victime de sa fringale.

Le maillot rose en 1989

Cette défaite, pour douloureuse qu’elle fût, n’allait pas toutefois empêcher Fignon de revenir sur le Giro. Ce fut le cas en 1989, sa deuxième grande année sur le plan du palmarès. Entre temps il avait connu des hauts et des bas dans sa carrière, alternant les blessures et méformes et les coups d’éclat. Ainsi, après une année 1985 gâchée par une opération à la cheville, il avait remporté l’année suivante la Flèche Wallonne après s’être fracturé la clavicule en janvier, puis Milan-San Remo en 1988, pour ne retenir que ses grandes victoires. Il récidivera en 1989 dans la Primavera, réussissant un doublé rare dans la grande classique italienne, où il fit étalage de sa remarquable science de la course, ce qui lui valut le surnom de « professore » par les Italiens. Mais pour d’autres il devint aussi « Laurent le Magnifique », en référence à Laurent de Médicis, un des hommes les plus brillants de son siècle, mort jeune comme lui, mais qui laissa un souvenir impérissable comme homme d’Etat florentin.

En 1989 précisément, Laurent Fignon était presque redevenu le coureur qu’il fut en 1984, comme en témoigne sa deuxième place dans le Tour de France, battu par Greg Le Mond de huit secondes, lequel avait disposé pour les étapes contre-la-montre d’un guidon de triathlète, qui allait lui faire gagner beaucoup plus que les huit secondes qui avaient manqué à Fignon sur les Champs Elysées. Fignon allait aussi gagner cette année-là le Grand Prix des Nations, dont on rappellera une fois encore qu’il était considéré jusqu’en 1994, comme l’officieux championnat du monde contre-la-montre. Bref, ce n’était pas un hasard si Fignon était devenu cette année-là le numéro un du cyclisme international.

Il le prouva dans ce Giro 1989, où il ne fut jamais réellement inquiété, y compris par Lucho Herrera le coureur colombien, remarquable grimpeur, qui s’imposa sur les pentes de l’Etna dès le second jour de course, une journée ou Le Mond allait perdre toutes ses illusions en terminant à plus de huit minutes d’Herrera. Un peu plus tard c’est un autre rival de Fignon, Andy Hampsten, vainqueur l’année précédente, qui allait perdre beaucoup de temps lors de l’étape c.l.m. par équipes à cause d’une chute collective. Tout cela, il faut le reconnaître, arrangeait bien les affaires de notre champion, lequel attendait patiemment la montagne. Entre temps, il y avait eu l’étape contre-la-montre disputée à Riccione sur la côte Adriatique, où Fignon avait prouvé sa grande forme en terminant tout près de Stephen Roche, remarquable rouleur, auteur du célèbre triplé de 1987 en gagnant le Giro, le Tour et le championnat du monde.

En fait le seul rival de Fignon semblait être le Néerlandais Breukink, les deux hommes s’étant livrés une furieuse bataille juste derrière Herrera sur les pentes sévères des Trois Cimes du Lavaredo lors de la treizième étape. La situation pour Fignon devenait de plus en plus intéressante, d’autant que Roche n’avait pu résister à l’attaque de Breukink contrée par Fignon, et surtout parce que ce Giro avait renoué avec sa légende en offrant un parcours très montagneux. Ainsi, entre Misurana et Corvara Alta Badia, en passant par la fameuse Marmolada, Fignon allait lancer une première offensive qui allait mettre hors-jeu définitivement Roche et Fondriest, mais aussi Breukink, victime d’une terrible défaillance à 13 kilomètres de l’arrivée, ayant commis l’erreur de ne pas se ravitailler suffisamment, sans doute en raison du faible kilométrage de l’étape (130 km). Un adversaire de moins pour « Laurent le Magnifique » ! Restait maintenant à résister au grimpeur italien Flavio Guipponi, qui avait remporté cette étape, profitant de l’énorme travail de Fignon cherchant à distancer ses adversaires les plus dangereux.

A priori Guipponi n’était pas un adversaire trop redoutable, mais il était italien, et sait-on jamais, même avec 1mn 50s d’avance ? Pour autant, personne ne doutait déjà de la victoire du coureur français. Il allait pourtant faire une frayeur à ses supporters dans le contre-la-montre en côte du Monte Generoso (Suisse), en terminant dix-septième de l’étape à 1mn 45s d’Herrera, ce qui faisait beaucoup pour un parcours de moins de 11 km. Allait-il fléchir si près de l’arrivée ? Non, car le surlendemain il l’emporta au sprint à La Spezia devant ses principaux adversaires, prouvant qu’il était en forme et qu’il était un champion à panache. Combien de coureurs dans sa situation auraient osé se lancer à fond dans la dernière descente avant l’arrivée, alors que la raison aurait dû lui recommander de rester tranquillement dans les roues de ses adversaires. On comprend pourquoi, dans ses dernières interventions télévisées, il piaffait d’impatience en voyant certains coureurs refuser d’attaquer de peur de se faire contrer !

Fignon se fit pourtant encore plus peur dans l’avant-dernière étape, chutant dans la descente du Prunetta, ce qui lui valut en outre de subir l’attaque de Guipponi. Au passage, cela nous permet de dire que ceux qui se sont offusqués de l’attitude de Contador dans l’étape de Port-de-Balès en 2010, profitant du problème mécanique d’Andy Schleck, ne connaissent pas l’histoire du vélo, qui regorge d’évènements de cet ordre. Fermons la parenthèse pour dire que cette attaque de Guipponi fut vite réprimée, Roche s’associant à Fignon pour revenir sur le coureur italien. Le Giro était bel et bien terminé, et comme si le résultat était connu d’avance, l’organisateur Torriani aidé de Moser décidèrent d’annuler la dernière étape de montagne devant emprunter le Gavia en raison de la neige…bien réelle cette fois. Fignon avait gagné son Giro, et cela lui faisait définitivement oublier sa frustration de 1984.

Laurent Fignon était (presque) redevenu Fignon, manquant de quelques secondes le doublé Giro-Tour quelques semaines plus tard. Curieusement cette année 1989, tellement brillante, allait être son chant du cygne malgré une victoire dans le Critérium International en 1990. Il faut dire qu’une chute dans le Giro allait ruiner en grande partie sa saison, alors que tout le monde attendait qu’il prît sa revanche sur Le Mond dans le Tour 1990. L’année 1991 ne lui sera pas davantage favorable, en raison là-aussi d’une chute avec déplacement du bassin, de nouveau au Tour d’Italie, ce qui ne l’empêchera pas de terminer sixième du Tour de France, prouvant au passage qu’il avait de beaux restes. Il n’est donc pas étonnant que Laurent Fignon ait un palmarès qui le place parmi les vingt cinq plus beaux depuis 1945, et le quatrième sur le plan français après Bernard Hinault, Jacques Anquetil et Louison Bobet. A ce propos, on notera avec une certaine tristesse qu’il est le dernier vainqueur français du Giro. Nous sommes certains qu’il devait lui aussi regretter de n’avoir pas de successeur français depuis son succès de 1989. En tout cas, ce merveilleux coureur, au tempérament tellement généreux, nous aura offert quelques unes de nos plus belles joies de supporter du cyclisme sur route, et servira longtemps d’exemple pour nombre de jeunes coureurs. Il a rejoint hélas, en août 2010, le paradis des coureurs, très tôt, trop tôt, car il avait encore beaucoup à offrir aux amateurs de vélo. Mais n’est-ce pas le lot de tous les héros ?

Un dernier mot enfin pour parler du Giro qui va commencer, avec pour figures de proue le vainqueur du dernier Tour de France, ancien pistard devenu grand routier et presque grimpeur, le Britannique Wiggins, mais aussi le vainqueur du Giro l’an passé, le Canadien Hesjedal, Cadel Evans, qui est toutefois sur la pente descendante, Samuel Sanchez, toujours placé dans les grands tours mais jamais gagnant, Michele Scarponi, qui a hérité de la victoire dans le Giro 2011 au détriment de Contador, qui ne fut jamais aussi brillant dans sa carrière qu’à ce moment, les deux équipiers colombiens de Wiggins, Henao et Uran, lesquels sont sans doute plus forts que Wiggins sur un tel parcours mais qui seront d’abord des équipiers, et évidemment celui qui sera mon favori, Vincenzo Nibali, qui a l’air à la fois très affûté et déterminé…et dont le tempérament se rapproche beaucoup de celui de Laurent Fignon.

Michel Escatafal


One Comment on “Laurent Fignon appartient à la grande histoire du Giro (Partie 2)”

  1. mon blog dit :

    hello, je tenais à te feliciter pour la qualité des articles de ton blog ! je gère moi aussi un blog depuis peu et j’espère pouvoir faire aussi bien 🙂 A bientôt, ZAK


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