Quelques anecdotes qui ont construit la légende du Tour de France

anquetil envaliraDans un précédent article (Quelques épisodes qui ont construit la légende du Tour de France et du vélo) j’avais déjà évoqué des épisodes ou anecdotes qui ont marqué l’histoire du Tour de France, plus grande épreuve cycliste du calendrier et un des évènements les plus suivis et regardés dans le monde. Il est vrai que depuis une vingtaine d’années le vélo s’est énormément développé à travers notre planète, ce qui explique qu’on ne serait pas surpris de voir un Colombien (Quintana) remporter enfin le Tour de France, après que ce dernier ait été gagné par les Américains Lemond et Armstrong, lesquels à eux deux collectionnent 10 victoires*, l’Irlandais Roche, le Danois Bjarne Riis, l’Australien Cadel Evans, et les Britanniques Wiggins et Froome. Tous nés dans des pays où le cyclisme sur route ne s’est développé que récemment. Si j’écris cela c’est parce que le vélo chez les professionnels a longtemps été cantonné dans les pays continentaux d’Europe de l’Ouest.

Cela dit, cette année nous aurons une course sans doute très serrée entre Froome qui cherchera à remporter une troisième victoire, Quintana pour qui ce serait une première après deux secondes places, et pourquoi pas Contador pour un quatrième sacre sur la route, même si j’ai l’immense regret de dire qu’il est peut-être un ton légèrement en-dessous de ses deux rivaux. Contador me fait penser à Hinault en 1985 et 1986, capable encore de beaux exploits, de ceux qui font la légende du vélo, mais objectivement le Pistolero n’est plus aussi dominateur à 33 ans qu’il ne le fut dans ses grandes années entre 2007 et 2014. L’Alberto Contador du Tour 2009 ou du Giro 2011 serait sans doute imbattable, comme l’aurait été en 1984 et 1986, le Bernard Hinault des années 1978 à 1982. Voilà pour le présent et le passé, puisque ce site évoque beaucoup l’histoire du sport.

Fermons la parenthèse et regardons de plus près quelques changements très importants de l’histoire du Tour, et commençons par aborder l’évolution du vélo lui-même au moment où l’on pense avoir trouvé l’arme absolue pour contrecarrer le dopage technologique. Dans cette évolution le dérailleur tient une grande place. A partir du moment où est apparue la montagne dans le Tour, un des gros problèmes à résoudre pour les coureurs fut d’adapter les démultiplications au pourcentage et à la longueur des montées et à leurs propres aptitudes physiques. Ainsi faute de dérailleur, le puissant coureur luxembourgeois François Faber (vainqueur en 1909), utilisait en plaine un développement de 6.10 m, supérieur à celui de la plupart des champions de l’époque (5.80m pour Petit-Breton et Georget, 5.60 pour Garrigou, 5.50 pour Lapize et Trousselier), et 4.60m en montagne, alors que Trousselier moulinait sur 3.60m tout comme Lapize alors qu’Alavoine au début des années 1920 faisait les étapes de montagne avec un développement de 3.75m. En 1914, Henri Pelissier avait adopté un 44×22, soit 4.27m dans le Tourmalet, et 44×20 dans Aspin et Peyresourde un peu moins durs. A noter qu’à ces époques, les coureurs devaient descendre de machine et retourner leur roue arrière pour adopter la démultiplication souhaitée. Au passage on observera la force de ces coureurs, puisque à sa grande époque Armstrong escaladait Hautacam avec un 39 x 23 (soit seulement 3,62 m par tour de pédalier), en notant que de nos jours, on parle surtout de fréquence de pédalage dans les ascensions, Froome en étant à présent le champion incontesté.

Revenons à présent à l’histoire du Tour et au dérailleur pour noter qu’il fallut attendre l’année 1937 pour que les « as » soient autorisés à utiliser le dérailleur, alors que celui-ci était utilisé par les cyclotouristes depuis les années 1924-1925. Pourquoi j’écris les « as », parce que le directeur du Tour Henri Desgranges avait autorisé l’utilisation du dérailleur pour les touristes-routiers, catégorie pittoresque où l’on trouvait un peu de tout (coureurs de second-plan, artisans du vélo etc.), alors que les meilleurs n’y avaient pas droit. Résultat, il arrivait que des touristes-routiers de bon niveau dominent les « as » dans certaines étapes. Attitude d’autant plus stupide de la part de l’organisateur que les autres grandes courses ne refusaient pas la nouvelle technologie. A noter aussi que jusque-là l’organisateur fournissait à chaque participant un vélo sans marque de couleur jaune évidemment.

Autre anecdote beaucoup plus amusante, ce qui est arrivé à André Leducq lors d’une journée de repos du Tour 1932, un Tour qu’il remporta avec 24mn d’avance sur son second l’Allemand Stoepel. Ce jour-là, Leducq, grande star de l’époque, fut invité avec son ami Marcel Bidot (futur entraîneur de l’équipe de France entre 1952 et 1969) par un couple de commerçants parvenus, ce qui ne pouvait qu’augmenter leur notoriété dans la ville. Après l’apéritif, on passa donc à table et Leducq fut invité à s’assoir à côté de la maîtresse de maison. Une dame charmante qui pour l’occasion s’était bien maquillée, et qui allait tout au long du repas mettre ses jambes sur ou autour de celles de Leducq, hors de la vue évidemment de son mari. Et à la fin du repas, après le café, la dame invita le leader du Tour à regarder ses estampes japonaises dans un petit salon de l’appartement. Marcel Bidot ayant vu le manège de la dame, pressentit ce qui allait se passer et du coup se chargea de tenir la conversation avec l’époux de la belle, pendant que celle-ci s’occupait avec Leducq sur le canapé. Une fois l’affaire terminée, Leducq et la dame revinrent comme si de rien n’était pour le plus grand plaisir de l’époux…qui venait de se vêtir de jaune sans le savoir ni le vouloir, avec la complicité active de Marcel Bidot, ce que Leducq traduira par « faire la course en équipe ». Pour couronner le tout, alors que Leducq s’était un moment inquiété de la dureté de l’étape du lendemain, il gagna cette étape. Tout était bien qui finissait bien pour tout le monde, sauf peut-être pour le mari qui, toutefois, ne s’était aperçu de rien. Pour ceux qui pourraient douter de la véracité de cette histoire, celle-ci est vraie puisqu’elle a été racontée dans le livre de souvenirs d’André Leducq.

Deux ans auparavant, en 1930, fut créée la caravane publicitaire, chose toujours aussi attrayante aux yeux des enfants et parfois aussi des parents sur le bord des routes, ce qui contribue aussi à la notoriété du Tour. En 1936, six ans après sa naissance, la caravane comptait 47 sociétés que l’on appellerait de nos jours sponsors. Parmi celles-ci on trouve des noms encore connus aujourd’hui, comme les apéritifs Cinzano, Pernod, Byrrh, ou encore le fromage La Vache qui rit, les nougats Chabert et Guillot, l’eau Perrier et les pneus Englebert qui ont équipé les Ferrari en Formule 1 entre 1950 et 1958. Leducq, encore lui, fut également une figure emblématique d’une des marques de l’époque, le dentifrice Dentol : « Dentol c’est mon sourire ! » Tout cela pour dire que le Tour des « forçats de la route », comme Albert Londres avait appelé les coureurs dans un texte célèbre écrit en 1924 (Le Petit Parisien), était devenu avant tout une grande fête. C’était même tellement la fête que les « piquos » faisaient « leur beurre » sur le dos des spectateurs. Ces « piquos » en effet, étaient des petits escrocs, qui bravaient l’interdiction d’être sur la course et dépouillaient les spectateurs en leur mettant des cartes postales dans la main avec des prix modiques mais sans chiffre rond, ce qui leur permettaient de se sauver sans rendre la monnaie.

Enfin, dernière de ces anecdotes que je vais raconter aujourd’hui pour parler de nouveau de sport, le fameux méchoui auquel prit part J. Anquetil, même si c’est aussi presque un fait divers. C’était en 1964, pendant la journée de repos à Andorre, Jacques Anquetil fut invité à participer avec son épouse, venue le rejoindre, aux festivités organisées en l’honneur du Tour De France, avec au menu un somptueux méchoui, accompagné de sangria. Personne n’aurait imaginé ce qui allait se passer à propos de ce méchoui, à commencer par le fait que J. Anquetil allait manger et boire comme s’il avait été à la période de Noël. Certes tout le monde connaissait les capacités d’absorption du champion normand, mais nous étions en plein Tour de France quand même. Un Tour très difficile, où son principal adversaire s’appelait Poulidor, sans doute jamais aussi fort que cette année-là. Alors pourquoi Anquetil s’était-il laisser aller à faire bombance ? Tout simplement parce qu’un mage avait prévu qu’il serait victime d’un grave accident au cours de la 15è étape entre Andorre et Toulouse. Il voulait donc oublier ce sinistre présage en faisant la fête. Problème, la digestion fut très difficile et le champion passa une très mauvaise nuit. Et il n’était pas très frais au départ d’Andorre le lendemain matin, alors que l’étape commençait par l’ascension de l’Envalira, ce qui lui valut de perdre plus de 4mn dans la montée, Poulidor et Bahamontes ne lui faisant aucun cadeau. Il fut même sur le point d’abandonner, mais son orgueil légendaire prit le dessus et du coup il se lança dans la descente comme un kamikaze, prenant des risques terribles au milieu du brouillard, au point de faire peur aux coureurs qu’il dépassait un à un. Parmi ceux-ci il y avait Rostollan, Altig et Geldermans, qui reconnurent tous avoir été pétrifiés de frayeur devant l’allure hallucinante et la témérité de Jacques Anquetil, comme s’il avait voulu lancer un défi à ce mage.

Résultat, Jacques Anquetil avait refait à la fin de la longue descente une bonne partie de son retard, retrouvant un petit peloton au sein duquel on trouvait le maillot jaune Georges Groussard, mais aussi Henri Anglade (4è du classement général), Jan Janssen (porteur du maillot vert) et André Foucher, tous ayant de bons motifs pour collaborer avec lui dans la chasse à Poulidor et Bahamontes. Cette chasse leur permettra de faire la jonction avec les hommes de tête, mais ce fut le jour où Poulidor perdit le Tour, car en voulant changer de roue (voilée) à 5 km de l’arrivée, sur les conseils de son directeur sportif, Antonin Magne, Poulidor le malchanceux fut mis à terre par le mécanicien qui venait de le dépanner, ce qui fit sauter la chaîne du vélo du sympathique Poupou. Bien sûr personne n’attendit Poulidor, lequel se retrouva à Toulouse relégué à plus de 3 mn d’Anquetil au classement général. Pour mémoire, Poupou perdit le Tour pour 55 secondes…et ne le gagnera jamais, alors que tant d’autres coureurs beaucoup moins forts que lui ont amené le maillot jaune à Paris au moins une fois. Et Jacques Anquetil fit cette année-là le doublé Giro-Tour. Comme quoi, il vaut mieux ne pas se fier aux prédictions des mages !

Michel Escatafal

*Evidemment pour moi Armstrong a remporté sept Tours de France…comme Riis en a gagné un, pour ne citer que lui et tant d’autres avant eux qui avaient eu recours à des produits aujourd’hui interdits…et qui l’ont reconnu a posteriori.



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