Des records stupéfiants et d’autres qui ne le sont pas…

séoul 1988Alors qu’on ne sait pas si Christophe Lemaitre sera ou non forfait pour les prochains championnats du monde d’athlétisme, ce qui ne ferait qu’un athlète français de plus incapable de participer à cette épreuve, avec Tamgho, champion du monde du triple saut en 2013, mais aussi le multiple médaillé d’or européen et médaillé d’argent olympique et mondial, Mahiedine Mekhissi, ou encore Yohann Diniz, triple champion d’Europe, tous blessés, ce sport est en train de subir un véritable cataclysme…lié à de supposées affaires de dopage. Décidément on n’en sortira pas ! Au passage on est en train de s’apercevoir qu’il n’y a pas que dans le cyclisme que sévit le dopage, ce dont nous sommes très nombreux à être persuadés. ..le sport engendrant fatalement la tentation du dopage chez certains compétiteurs. Cela dit, doit-on nécessairement remuer de la boue pour des résultats entérinés entre 2001 et 2012, soit pour certains depuis bientôt 15 ans ? Réponse non, car dans ce cas il faudrait remonter des années et des années en arrière, notamment à la « belle » époque du dopage organisé dans les années 70 ou 80, voire même avant, et cela ne servirait à rien.

Je souhaite aussi qu’on ne se ridiculise pas comme on le fait régulièrement dans le cyclisme, où l’on manipule à loisir les palmarès, pour donner parfois des titres à des gens loin d’être insoupçonnables sur le plan du dopage. Parfois même le ridicule tue froidement puisqu’on raye un vainqueur des palmarès, sans attribuer le titre…mais en gardant le reste du podium pour des coureurs suspendus par la suite. Bref, du grand n’importe quoi, ce qu’on a osé faire aussi en athlétisme, mais à une échelle beaucoup moins grande. En fait les seuls champions privés de leur titre l’ont été suite à un contrôle positif ou anormal, ce qui peut s’expliquer même si ces contrôles ne prouvent pas nécessairement qu’il y a eu prise de produit incriminé volontaire, ou suite à des aveux faits par les champions…ce qui signifie qu’ils auraient gardé leur titre s’ils n’avaient rien dit.

Mais comme rien n’est simple dans ce domaine, notamment dans le cyclisme, on peut quand même figurer dans les palmarès si on a avoué s’être dopé…après prescription des faits par le règlement. Qui peut comprendre ça ? Résultat, on a des gens dont est certain qu’ils se sont dopés figurant dans les palmarès…et des gens dont n’a jamais pu prouver qu’ils s’étaient dopés à qui on a retiré leurs titres, y compris ceux pour lesquels ils étaient régulièrement inscrits sur la liste des participants. Là ça devient carrément loufoque ! Mais on oublie aussi les cas où un champion ayant subi un contrôle positif indiscutable garde son ou ses titres, parce qu’il y a eu vice de forme dans la procédure. Là on est carrément dans le déni de justice par rapport aux autres.

Néanmoins tout cela n’est finalement que broutille dans l’histoire du sport, surtout dans un monde où tout va tellement vite que plus personne ne se souvient des résultats vingt ans auparavant. Il n’y a qu’à lire les commentaires des supporters forumers pour s’en rendre compte, certains faisant par exemple de Froome le plus grand coureur cycliste de tous les temps, la remarque valant aussi pour Messi en football ou pour Usain Bolt en athlétisme, sans parler de Federer ou Serena Williams pour le tennis, alors qu’il est déjà très difficile de déterminer le meilleur depuis le nouveau siècle. En fait, seuls les palmarès sont crédibles pour essayer de désigner les meilleurs…à condition qu’ils n’aient pas été manipulés, ou qu’on garde en mémoire le fait qu’il y ait eu jusqu’au début des années 1990 une distinction entre amateurs et professionnels (cyclisme sur piste ou tennis).

Décidément on n’en sort pas, d’autant que personne n’a songé à revenir en arrière, à partir de 1946 ou même avant, pour vérifier si tel coureur, athlète ou tennisman n’ avait pas des qualités supérieures aux stars d’aujourd’hui, en tenant compte aussi de la morphologie moyenne des sportifs, des conditions dans lesquelles on évoluait il y a 50 ou 100 ans, des progrès de la médecine, des progrès technologiques etc. En outre, qu’est-ce qu’on entend par produits dopants, certains se trouvant dans des médicaments utiles à la santé, d’autres dans la nourriture. La créatine par exemple, est-elle un produit dopant ? Non, répondent les spécialistes, même si le docteur Gérard Dine, spécialiste du dopage, a affirmé que « la créatine a des effets bénéfiques minimes mais réels ». D’ailleurs aucune autorisation d’emploi de ce produit en France n’a été accordée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ce qui n’empêche pas que de nombreux sportifs ont admis l’avoir utilisée, le dernier en date étant le nageur vedette en France,  Florent Manaudou.

En tout cas, si l’on en croit les révélations faites par une chaîne de télévision allemande (ARD) et un quotidien britannique (Sunday Times) sur un fichier secret de la Fédération Internationale d’Athlétisme, « au moins un médaillé sur six dans les épreuves d’athlétisme des JO ou des Mondiaux (hors sprint), entre 2001 et 2012, présentait des résultats suspects ». En outre deux pays, le Kenya et la Russie, sont fortement montrés du doigt. Comme si le dopage ne sévissait que dans ces pays ! Accusations qualifiées de « sentationnalistes et trompeuses«  par l’IAAF (Fédération internationale d’Athlétisme), ce qui signifie qu’on n’y voit guère plus clair sur toutes ces affaires, et sur la réalité du dopage en athlétisme. Et là aussi, je pourrais écrire : Comme si le vélo et l’athlétisme étaient les deux seuls sports touchés par le dopage !

Du coup l’amateur d’athlétisme que je suis depuis mon plus jeune âge, devrait cesser de rêver en voyant les exploits réalisés par les cracks d’autrefois et d’aujourd’hui, même si quelques performances me laissent de très gros doutes…parce que jamais approchées depuis leur réalisation. Je donnerai plus loin quelques exemples pour illustrer mon propos, en notant aussi que certains exploits me paraissent tout à fait humains (El Guerrouj et ses 3mn26s au 1500m en 1998 ou les 18m29 d’Edwards au triple saut en 1995, pour ne citer qu’eux). En revanche, pour avoir vu la course à la télévision, je n’ai jamais cru à la véracité de l’exploit accompli en son temps par le Canadien Ben Johnson, qui avait réussi, le 24 septembre 1988 aux J .O. de Séoul, le temps de 9s79, qui lui avait permis de devancer largement Carl Lewis lors de la finale du 100m, avant d’être disqualifié quelques heures après son succès et banni des Jeux Olympiques. Vraiment trop beau pour être vrai!

Cela montre, comme je l’ai souvent écrit, que l’on a fait des progrès dans la lutte contre le dopage, mais pas suffisamment pour que ceux qui ont recours à la pharmacopée pour réussir des performances hallucinantes soient attrapés au moment de leurs exploits. En effet, avant de l’être ils ont pu accumuler les performances stupéfiantes…sans que les contrôles permettent de savoir si ces performances étaient normales ou pas. C’est là tout le problème du dopage dans le sport, et pas que dans le cyclisme ou l’athlétisme, puisque des champions peuvent très bien faire toute leur carrière sans jamais se faire prendre, alors que d’autres sont pris pour des traces insignifiantes de produits qui, en aucun cas, ne pouvaient améliorer leurs performances.

Puisque je parle de l’année olympique 1988, ô combien riche en exploits renversants notamment en athlétisme, qui pourrait affirmer avec certitude que Florence Griffth-Joyner a réalisé « proprement » ses 10s49 au 100m en juillet 1998 à Indianapolis, et ses 21s34 en finale des J.O. sur 200m, des temps qui n’ont jamais été approchés depuis cette date ? Pour mémoire, sur 200m la meilleure performance d’une femme après celle Flo-Jo Griffth-Joyner est détenue par…Marion Jones avec 21s62, la suivante immédiate étant Merlène Ottey avec 21s64, elle aussi ayant eu des problèmes de dopage.   Sur 100m, la femme la plus rapide est Carmelita Jeter avec 10s 64, temps réalisé en septembre 2009, donc tout à fait en fin de saison, ce qui avait aussi suscité des interrogations. Pour revenir à Flo-Jo Griffith-Joyner, on rappellera qu’elle n’a jamais confirmé ses performances de 1988, puisqu’elle a annoncé sa retraite en février 1989. Elle est décédée d’une rupture d’anévrisme quasiment 10 ans jour pour jour (21 septembre 1998) après son fabuleux record du monde du 200m (29 septembre 1998). Au fait quand ses records seront-ils battus ? Peut-être, pour ne pas dire sans doute, jamais.

Il y a aussi des  records qui tiennent depuis 25 ans et plus, et qui pourraient tenir encore un  certain temps. Citons simplement  ceux  détenus chez les hommes par l’Allemand de l’Est Schult au disque avec 74.08m   (1986), par l’Ukrainien  Sedhyk ( père de notre grand espoir Alexia) au   marteau avec 86.66m en 1986, et chez les femmes par l’Allemande de l’Est   Marita Koch sur 400m avec 47s60 (1985),    la Tchèque  Jarmila   Kratochvilova sur 800m avec un temps de 1mn53s28 (1983),  la lanceuse de poids russe (aujourd’hui   française) Natalya Lisovkaya qui a effectué un jet de 22.63m en 1987, la   lanceuse de disque est-allemande Gabriele Reinsch qui a lancé son engin à  76.50m, la sauteuse en hauteur bulgare Stefka Kostadinova dont le saut de 2.09m à Rome aux championnats du monde 1987 n’a jamais été égalé ou battu,   même si la Croate Blanka Vlasic a flirté plus d’une fois avec cette   barre ces dernières années,  sans oublier les 12s21 au 100m  haies de la Bulgare Yordanka Donkova et les 7m52 en longueur de l’Ukrainienne Galina Chistyakova en 1988 (décidément l’année des J.O. de Séoul était propice aux exploits!). Cette même année il y eut l’énorme record du 4x400m féminin de l’ex-Union   Soviétique avec un temps de 3mn15s17c, mais aussi les 7291 points à l’heptathlon de Jackie Joyner, sœur de Al Joyner (champion olympique du triple saut   en 1984 à los Angeles), lui-même époux de Florence Griffith-Joyner. Et oui, le monde de l’athlétisme est petit, et le nom de Joyner n’est pas prêt de   disparaître des annales de l’athlétisme, pas plus que celui de la Chinoise Wang Junxia, double recordwoman du monde des 3000m (8mn06s11) et du 10.000 m (29mn31s78), records battus entre les 8 et 13 septembre 1993. D’après son entraîneur, obligé de répondre à certaines interrogations des observateurs et amateurs d’athlétisme, les exploits de Wang Junxia étaient dus à son entraînement et, plus encore sans doute, au fait qu’il lui administrait comme potion magique de la soupe au sang de tortue!

Arrêtons-là et espérons, sans réellement  y croire, que le dopage disparaîtra dans l’avenir des  pistes, des routes ou vélodromes, des bassins de natation, et plus généralement de tous les autres terrains de sport. Après tout, je suis sûr et certain que les records d’Europe de Christine Arron (100m en 10s73) en 1998 ou de Stéphane Diagana (400m haies en 47s37) en 1995, pourtant très haut perchés, ont été réalisés sans le moindre doute quant à la valeur réelle de la performance. Je pourrais évidemment citer bien d’autres exemples, plus récents, par exemple les 6m16 de Renaud Lavillenie à la perche l’an passé, qui prouvent que j’ai raison de garder mes illusions et pas seulement grâce aux seuls athlètes français.

Michel Escatafal


Cette merveilleuse Muriel Hurtis …

muriel hurtisLa France vient de vivre ces derniers jours un de ces moments de joie comme seul le sport peut en apporter. Il s’agit bien sûr des championnats d’Europe d’athlétisme, où les Français ont réussi « un carton » comme jamais cela n’était arrivé dans l’histoire de notre athlétisme. Certes, comme nous sommes en France, on va nous faire remarquer que ce n’était « que » des championnats d’Europe, mais les mêmes oublient que certaines médailles sont en réalité des médailles mondiales, pour la simple raison que dans plusieurs disciplines les Européens sont les meilleurs, ou un Européen est le meilleur ou parmi les tous meilleurs (concours hommes et femmes, Mo Farah, Renaud Lavillenie, Mahiédine Mekhissi…). Voilà pourquoi il faut se réjouir, comme les plus anciens amateurs d’athlétisme se sont longuement réjouis des 14 médailles (dont 4 en or avec Jazy, Bambuck, Madubost et le 4x100m) récoltées aux championnats d’Europe 1966. Tout cela pour dire qu’on aurait tort de bouder notre plaisir, d’autant que la France se situe juste derrière la Grande-Bretagne au tableau des médailles, cette dernière l’emportant grâce à ses 12 médailles d’or contre 9 à la France. Cela dit, sur la piste les Français ont récolté davantage de médailles que les Britanniques, puisqu’on a retiré de façon aussi injuste que ridicule la médaille d’or de Mahiédine Mekhissi au 3000m steeple. Bref, nos Bleus qui ont fait retentir aussi souvent la Marseillaise, dans le stade mythique de Zurich, ont bien mérité l’accueil très chaleureux de leurs supporters et l’hommage rendu par François Hollande à l’Elysée.

Je ne vais évidemment pas m’étendre sur les résultats de cette équipe de France, largement commentés par les journaux ou les sites spécialisés, mais je voudrais quand même souligner l’extraordinaire dernier tour de Mahiédine Mekhissi dans le 1500m, un dernier tour qui a fait l’admiration de Sebastian Coe et Michel Jazy, deux des plus grands milers de l’histoire, ou encore de Medhi Baala (double champion d’Europe du 1500m, médaillé d’argent mondial et médaillé de bronze olympique) qui, lui aussi, sait de quoi il parle quand il affirme qu’il n’y a pas « beaucoup de gars capables de courir le dernier tour en moins de 50s ». En fait on ne sait d’ailleurs pas exactement le temps qu’aurait pu réaliser Mekhissi dans son dernier tour s’il avait été à la lutte, car il a commencé à se relever à 80 m de la ligne qu’il a franchie au ralenti, ce qui explique qu’il n’ait  été chronométré « qu’en » 52s7. Pour mémoire je rappellerais que Coe avait été chronométré lors de son dernier tour du 1500m des J.O. de Los Angeles (1984) en 51s, à la lutte avec  Steve Cram, autre fameux coureur de 1500m. Cela dit, quelles sont les limites de Mekhissi sur 1500m ? Sans doute à un très haut niveau, et ce serait intéressant de le voir faire une saison pleine sur la distance…ce qui ne risque pas d’arriver, car le 3000m steeple est la distance sur laquelle il a remporté ses plus beaux succès et obtenu son meilleur résultat chronométrique (il est recordman d’Europe). En outre, je suis certain qu’il est persuadé de pouvoir enfin obtenir l’or olympique sur le steeple à Rio de Janeiro, malgré l’omniprésence des Kenyans.

Autre dernier tour d’anthologie, celui de Floria Gueï dans le relais 4x400m victorieux de ces championnats d’Europe. Décidément nos athlètes avaient une envie extraordinaire de se battre, et Floria Gueï en a apporté une preuve supplémentaire, elle qui avait  encore plus de 20m de retard dans la ligne opposée, mais qui y a cru jusqu’au bout, ce qui au passage a ridiculisé le commentateur de France Télévision, toujours prompt à tirer des conclusions trop rapides sur une épreuve. Fermons la parenthèse, pour souligner que Floria Gueï a couru son 400m lancé en 49s7 soit environ 50s4 départ arrêté, un niveau très supérieur à son meilleur temps individuel (51s42). Cela signifie que si elle renouvelle ce type de course dans l’avenir, elle peut espérer entrer en finale du 400m lors des prochains championnats du monde ou des Jeux olympiques de Rio, et devenir  un de nos grands atouts pour le futur relais 4x400m, après la retraite de Muriel Hurtis.

Muriel Hurtis justement, je veux en parler car elle est le troisième élément de cette merveilleuse trilogie de sprinteuses que nous a offert la Guadeloupe, après Marie-Jo Pérec et Christine Arron (voir mon article sur ce site Marie Jo Pérec et Christine Arron, nos merveilleuses divas des pistes). Hélas Muriel, comme ses amies avant elle, vient de disputer sa dernière compétition, et on ne reverra plus sa grande silhouette sur les pistes, où elle a brillé de mille feux depuis une quinzaine d’années. Une carrière très longue qui a réellement commencé au niveau international en 1999, avec la médaille d’argent du 4x100m des championnats du monde en compagnie de Kathia Benth, Patricia Girard et Christine Arron, juste derrière les Bahamas. Ensuite ce sera une succession de grandes performances sur les pistes du monde entier avec une médaille d’argent aux championnats d’Europe en salle sur 200m (en 2000), puis l’année suivante l’argent aux championnats du monde dans le relais 4x100m, avant d’exploser sur le plan individuel en 2002. Cette année-là en effet, Muriel Hurtis allait démontrer toute sa classe en remportant l’or aux championnats d’Europe en salle sur 200m, mais aussi deux titres européens en plein air sur 200m et au 4x100m. L’année 2003 sera celle de la confirmation avec un titre de championne du monde en salle sur 200m (suite au déclassement pour dopage de Michelle Collins), puis une médaille de bronze sur 200m aux championnats du monde à Saint-Denis (là aussi grâce au déclassement de Kelly White qui l’avait emporté), et la médaille d’or du relais 4x100m à ces mêmes championnats du monde en compagnie de Patricia Girard, Sylviane Félix et Christine Arron, qui fit sans doute ce jour-là la plus belle ligne droite de sa carrière, prenant le bâton avec un mètre de retard sur la championne du monde, Torri Edwards, dans le dernier relais et franchissant la ligne avec un mètre d’avance. Mais si Christine Arron put accomplir cet exploit, c’est aussi parce que Muriel avait accompli une extraordinaire ligne opposée en deuxième relayeuse, ce qui n’était pas une surprise pour les amateurs et connaisseurs d’athlétisme, dans la mesure où Muriel Hurtis, remarquable spécialiste du 200m, avait aussi réalisé 10s96 sur 100m en 2002. Ensuite, aux J.O. d’Athènes en 2004, elle terminera sur la troisième marche du podium du relais 4x100m avec  Sylviane Félix, Christine Arron et Véronique Mang qui avait remplacé Patricia Girard au départ.

Ce sera son dernier podium dans les grandes compétitions internationales jusqu’aux championnats d’Europe en salle (en 2011) dans le relais 4x400m. Oui je dis 4x400m, puisque Muriel Hurtis a décidé en 2010 de monter sur 400m, où sa longue et puissante foulée devait faire merveille. Hélas, elle avait beaucoup perdu de sa vitesse de base et, de fait, ne sera qu’une bonne spécialiste française sur sa nouvelle distance, son meilleur temps se situant à 51s41 (en 2010). Cela ne l’empêchera pas de rester une excellente relayeuse et d’aider ses jeunes compatriotes, notamment Marie Gayot et Floria Gueï, à progresser sur 400m et à s’approcher des podiums, comme en témoigne la quatrième place prise aux championnats du monde 2013. Mais le plus beau restait à venir sur 400m, avec cette magnifique victoire remportée dimanche dernier en compagnie de Marie Gayot, Agnès Raharolahy et Floria Gueï, qui, d’un coup, a presque acquis la notoriété d’un Marc Raquil, avec cette ligne droite stratosphérique, coiffant pour cinq centièmes la dernière relayeuse ukrainienne, laquelle s’en voudra toute sa vie d’avoir relâché son effort dans les derniers mètres, pensant avoir course gagnée. Elle a bien fait de commettre cette erreur, car, de ce fait, Muriel Hurtis quitte la scène athlétique par la grande porte, ce qui est mille fois mérité.

Michel Escatafal


Le sport se conjugue aussi au féminin

cathy tanvier En cette période d’été tout effort paraît intense, y compris quand on se contente de parler de sport. Si je dis cela c’est parce que ne faisant  plus autant de sport qu’auparavant, il me reste mon blog pour raconter à ma manière l’histoire du sport, à travers ce que j’ai vécu et parfois ce que j’ai entendu dire par ceux qui sont nés avant moi. Par exemple j’étais trop jeune pour avoir connu Coppi ou Fangio, mais mon admiration pour eux est venue de ce qui m’a été raconté à propos de leurs exploits. C’est la raison pour laquelle, il m’arrive d’évoquer beaucoup plus souvent le sport masculin que féminin, celui-ci n’ayant pas le même poids dans l’histoire…parce que nombre d’épreuves n’ont existé que depuis les années 60, alors que le sport de compétition masculin s’est développé dès la fin du siècle précédent.

C’est surtout le cas en athlétisme, dont le véritable départ au niveau des compétitions féminines se situe à la fin des années 40, mais aussi en cyclisme qui s’est réellement installé deux décennies plus tard, ces deux sports étant parmi les plus connus et médiatisés depuis des lustres. En revanche il a fallu attendre l’avènement du nouveau siècle pour qu’on parle de football féminin, alors que le football est le sport numéro un dans le monde. Et la France n’échappe pas à ce phénomène, nombre de grands clubs ayant à présent une section féminine de plus en plus professionnalisée.

Cela dit, le sport féminin dans notre pays est, qu’on le veuille ou non, moins bien perçu que chez la plupart de nos voisins. Et ce phénomène semble s’accentuer, au point que l’on finit par le retrouver au niveau des résultats, comme on a pu le constater l’été dernier aux Jeux Olympiques. Pour ma part, j’ai toujours pensé que l’on ne devait pas faire de différence entre les sportifs des deux sexes. Une victoire en finale olympique sur 100 m a pour moi la même valeur, qu’elle soit remportée par un homme ou par une femme. Cependant je ne vais pas raconter d’histoires pour autant, et nier que certains sports me passionnent uniquement à travers les hommes.

Il est clair que je ne m’intéresse guère à la boxe féminine, alors que j’ai toujours été passionné par la boxe masculine. Le rugby et le football féminin sont loin de me procurer les mêmes joies ou peines que leurs homologues masculins. Et pour être tout à fait honnête, je n’arrive pas à regarder avec la même avidité une course cycliste avec des coureurs ou des coureuses, y compris pour la piste. C’est sans doute un peu injuste, mais c’est comme cela. En revanche pour tous les autres sports, du moins ceux que j’aime ou que j’apprécie, c’est pour moi du pareil au même qu’il s’agisse des hommes ou des femmes.

Je vais donc en profiter pour parler de quelques femmes qui ont marqué ma vie…de passionné de sport. La première d’entre elles s’appelle Cathy Capdevielle, dont le principal fait d’armes au niveau international fut de finir cinquième de la finale du 100 m (remporté par Wilma Rudolph surnommée la Gazelle noire) aux Jeux Olympiques de Rome en 1960, ce qui était une magnifique performance. Si je me souviens aussi bien d’elle, c’est parce qu’à l’époque le but de ceux qui comme moi faisaient de l’athlétisme aux beaux jours, et plus particulièrement du sprint, était de courir un jour au moins aussi vite que Cathy Capdevielle. Certes j’avais à peine 14 ans en 1960, mais le temps qu’elle avait réalisé en finale olympique (11s5/10) paraissait assez inaccessible.

Toujours en athlétisme, j’avais une profonde admiration pour Maryvonne Dupureur qui avait à peu près le même âge que Cathy Capdevielle, et qui remporta la médaille d’argent du 800 m aux Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. Même si je n’avais pas tout à fait les mêmes sentiments pour elle car elle faisait le 800 m, je l’admirais beaucoup…parce que c’était la meilleure et qu’elle était française. Sa médaille d’argent aux J.O. était une déception, car elle aurait dû avoir l’or. J’étais triste quand j’ai appris, il y a cinq ans, qu’elle avait rejoint le paradis des athlètes.

Ensuite ce fut la période dorée du 400 m féminin en France, avec pour point d’orgue le titre olympique de Colette Besson à Mexico en 1968. Quelle fantastique ligne droite, et ensuite combien fut émouvante notre championne en larmes sur le podium. Et l’année suivante aux championnats d’Europe, la France remporta les deux premières places avec Nicole Duclos juste devant Colette Besson, avec à la clé le record du monde. Je me disais qu’il n’y a que l’athlétisme pour nous offrir de pareilles joies. Hélas, bien que jeune encore (59 ans), Colette Besson perdit son ultime combat il y a bientôt huit ans. Mais le souvenir de sa victoire à Mexico restera pour l’éternité, comme le panache dont elle faisait preuve à chacune de ses courses.

Plus tard, c’est une jeune fille de 18-20 ans qui m’a beaucoup impressionné, mais cette fois c’est de tennis dont je vais parler. Cathy Tanvier a été le premier grand espoir du tennis français au milieu des années 80, et pour tout le monde elle devait succéder à Françoise Durr qui avait gagné Roland-Garros en 1967. On l’appelait « la Borguette » car elle jouait un peu comme Borg, copiant même ses tics. Cela étant, elle eut moins de succès que l’ancien numéro un mondial, son palmarès se limitant à 10 titres dont 9 en double, et surtout ne sut pas négocier son après-carrière au point d’être devenue tributaire des minima sociaux. J’espère que les deux livres qu’elle a écrit, plus sa participation à un film de J.L. Godard, lui ont permis de « se refaire un peu » car c’est toujours triste de voir des gens qui ont gagné beaucoup d’argent se retrouver presque à la rue.

Bien sûr, il m’est impossible de ne pas évoquer Jeannie Longo et sa fantastique carrière (13 titres de championne du monde et un titre olympique)…qui n’est toujours pas finie à 55 ans ! Je ne dis pas cela pour me rattraper, mais c’est elle qui m’a vraiment fait apprécier le niveau du cyclisme féminin, à une époque où je savais pédaler. Avec deux copains, peu avant la venue du Tour à Millau en 1987, nous avons effectué (à fond) la montée du Cade, bien connue des Millavois, en 27 mn environ. Lors de l’étape du Tour de France féminin cette même année, ces dames ont mis entre 20 et 25 mn avec une centaine de km dans les jambes. C’est une ascension qui doit faire, du pont sur le Tarn au sommet, environ 7,5 km à 6, 3% de moyenne.

Enfin, je ne voudrais pas terminer mon propos sans citer quelques autres grandes sportives qui m’ont ému et qui méritent, elles aussi, d’entrer au Panthéon du sport français. Parmi elles, il y a Michèle Mouton qui remporta quatre rallyes du championnat du monde dans les années 80, Laura Flessel qui a apporté à la France beaucoup de médailles mondiales ou olympiques en escrime, tout comme Félicia Ballanger en cyclisme sur piste (3 titres olympiques et 10 titres mondiaux), ou Laure Manaudou qui a tout gagné en natation (championne olympique, recordwoman du monde, championne du monde et d’Europe), et qui fut une sorte de précurseur dans la natation française, au point que l’équipe de France collectionne à présent les titres olympiques ou mondiaux, à commencer par Camille Muffat.

N’oublions surtout pas nos tenniswomen Mary Pierce et Amélie Mauresmo (2 titres chacune en grand chelem, plus une Fed Cup), mais aussi Marion Bartoli qui vient de remporter Wimbledon. Il y a aussi Christine Arron et Murielle Hurtis, qui ont permis au 4X100m français de s’emparer du titre mondial en 2003, deux jeunes femmes qui ont été privées de plusieurs médailles planétaires par la faute du dopage de certaines de leurs adversaires. Autre athlète française, Eunice Barber dont on rappellera qu’elle a apporté à la France deux titres mondiaux dans l’heptathlon et le saut en longueur (1999 et 2003). Cela étant, pour moi, la plus grande sportive française reste à ce jour Marie-Jo Pérec, sans doute la meilleure spécialiste du 400 m plat de l’histoire de l’athlétisme, puisqu’elle est la seule (hommes et femmes confondus) à avoir remporté deux fois consécutivement le 400 m aux J.O., en plus de sa médaille d’or sur 200 m.

Mais il n’y a pas que des sportives françaises dans cette galerie des femmes qui m’ont enthousiasmé. Je pense en particulier à la merveilleuse Chris Evert (18 victoires en grand chelem), dont tous les professeurs de tennis disaient à leurs élèves masculins qu’ils devaient s’inspirer de sa manière de jouer, un peu comme l’autre prodige américaine, Tracy Austin, qui fut numéro un mondiale à 18 ans.  Autre américaine qui m’a ému, la championne du 1500m, Mary Decker, qui, malgré ses 17 records mondiaux, n’a jamais été championne olympique (comme Jim Ryun), chutant dans la finale du 1500m aux J.O. de Los Angeles en 1984. Une autre jeune femme a aussi largement contribué à donner ses lettres de noblesse à l’athlétisme féminin, la Britannique Sally Gunnell, qui a lancé définitivement le 400m haies chez les féminines (le 400m haies est apparu aux J.O. en 1984), en devenant championne olympique en 1992 et en améliorant le record du monde détenu par la Soviétique Stepanova depuis 1986, dans le temps extraordinaire pour l’époque de 52s74, soit 40 centièmes de moins que l’actuel record détenue par la Russe Pechonkina. Enfin, je n’oublie pas la sauteuse en hauteur Sarah Simeoni, appelée « la Vincitutto », championne olympique en 1980 à Moscou, qui rêvait de devenir danseuses étoile, et qui reste dans l’imaginaire des amateurs d’athlétisme une des plus grandes athlètes de tous les temps, qui fut la première femme à dépasser 2m (2.01m). Et pourtant elle était loin d’avoir la taille (1.77m) d’ Ulricke Meyfarth (1.86m) ou de l’actuelle meilleure sauteuse mondiale, la Croate Blanka Vlasic (1.93m).

 Michel Escatafal


Marie Jo Pérec et Christine Arron, nos merveilleuses divas des pistes

Si l’on demande à la première personne rencontrée dans un stade quelle est la sportive qui l’a fait le plus rêver, il est vraisemblable qu’elle dira Marie-José Pérec. Et si on demande à cette même personne quelle est la suivante, elle citera le nom de Christine Arron. Si j’écris cela, c’est parce qu’à l’occasion du centième article écrit sur ce blog, je veux rendre hommage à deux jeunes femmes qui ont comblé de bonheur le fan d’athlétisme que j’ai toujours été, depuis mes premiers tours de piste ou mes premiers sprints  sur une cendrée, revêtement des pistes d’athlétisme jusqu’à la fin des années soixante. En fait je vais m’offrir le grand plaisir d’évoquer deux divas de l’athlétisme qui, sur bien des points, se ressemblent.

D’abord elles sont nées en Guadeloupe, le 9 mai 1968 à Basse-Terre  pour Marie-José Pérec, et  le 13 septembre 1973 aux Abymes pour Christine Arron. Ensuite ce sont deux sprinteuses, qui ont commencé leur carrière en faisant du sprint court (100-200m). Elles ont aussi eu les mêmes entraîneurs, en la personne de Fernand Urtebise, puis Jacques Piasenta dans un premier temps, et dans un deuxième temps avec John Smith, même si ce fut pour quelques mois dans le cas de Christine Arron. Enfin elles ont remporté un nombre conséquent  de médailles dans les compétitions européennes, mondiales ou olympiques. J’ajouterais aussi que l’une et l’autre ont largement contribué, professionnalisme aidant, à promouvoir l’athlétisme sur nos chaînes de télévision grâce à leurs performances et à l’aura qu’elles dégageaient.

Cela étant, en regardant le bilan de leur carrière, on s’aperçoit qu’elles sont loin d’être « jumelles ». En premier lieu la carrière de l’une, Marie-Jo Pérec, fut tout simplement exceptionnelle, avec pas moins de trois médailles d’or olympiques sur 400m et 200m (1992-1996), deux titres de championne du monde en 1991 et 1995 sur 400m, plus deux titres de championne d’Europe en 1994 (400m et relais 4x400m) auxquels il faut ajouter une médaille de bronze européenne en 1990 sur 400m. En revanche  le palmarès de Christine Arron se limite, si j’ose dire, à un titre de championne du monde du relais  4x100m en 2003, plus deux médailles d’or aux championnats d’Europe en 1998 (100m et 4x100m),  une médaille d’argent aux championnats du monde 1999 avec le relais 4x100m, une médaille de bronze aux J.O. d’Athènes en 2004 toujours dans le relais 4×100, deux médailles de bronze sur 100 et 200m aux championnats du monde 2005, et pour terminer une médaille d’argent aux championnats d’Europe 2010 avec le relais  4x100m. C’est certes un joli palmarès, mais c’est loin du potentiel de cette merveilleuse spécialiste du sprint.

 Les deux jeunes femmes ont aussi été très différentes dans le déroulement de leur carrière. Par exemple, Marie-José Pérec ne s’est pas fait prier pour « monter sur 400m », malgré la difficulté qu’entraîne ce passage du sprint court au sprint long, alors que Christine Arron a préféré se concentrer sur le sprint court, alors qu’elle  aurait pu briller sur 400m et sans doute aussi dominer la distance. Cela lui aurait peut-être évité aussi les multiples blessures qui ont émaillé sa carrière, une carrière qu’elle a mise entre parenthèse en 2002, date à laquelle elle a donné naissance à son fils. Cela ne l’a pas empêché de redevenir aussi forte qu’elle le fut précédemment, sauf peut-être en 1998. Enfin, autre différence, Christine Arron continue sa carrière encore aujourd’hui à plus de 38 ans dans l’espoir de se qualifier pour les J.O. de Londres, alors que Marie-Jo Pérec y a mis un terme définitif beaucoup plus jeune, en 2000, après un épisode rocambolesque lors des J.O. de Sydney.

Voyons à présent, à travers quelques épisodes de leur carrière, les évènements marquants de leur parcours au plus haut niveau de l’athlétisme, en commençant par Marie-José Pérec.  Celle-ci, après avoir été repérée très vite par le professeur d’EP de son lycée à Basse-Terre, allait galérer pendant trois ans entre les Antilles et Paris, avant de commencer réellement sa carrière au mémorial Marie-Perrine à Fort de France où, à peine âgée de 20 ans (en mai 1988), elle fit jeu égal avec Marie-Christine Cazier qui dominait le sprint féminin français à l’époque (médaille d’argent aux championnats d’Europe de 1986). Mieux encore, elle réalisa à cette occasion, sur ses seuls dons, un temps (22s79) qui lui permettrait d’être candidate encore de nos jours au titre de championne de France. Puis, le 14 août suivant, débutante sur la distante du 400m, elle bat en 51s35 le record de France de Nicole Duclos qui fut record du monde en 1969. Premier exploit, qui sera suivi en 1989 par le titre européen en salle sur 400m, puis par une « fausse » victoire en Coupe du Monde sur la Cubaine Quirot, invaincue depuis deux ans. Fausse victoire, parce que Marie-Jo Pérec avait été finalement disqualifiée pour avoir légèrement mordu le couloir voisin en sortie de virage.

Un peu plus tard elle s’essaiera une première fois au 400m haies, sans suite, avant d’y revenir brièvement en 1995 (elle détient le record de France depuis cette date), ce qui prouve au moins qu’elle était prête à tout faire pour que sa carrière soit à la hauteur du talent que tout le monde devinait. Et pour le prouver, elle rejoignit un entraîneur certes « dur », mais qui avait obtenu de grands succès avec des athlètes comme Michèle Chardonnet (médaille de bronze aux J.O. de 1984 sur 100m haies), Stéphane Caristan (champion d’Europe du 110m haies en 1986)  et Guy Drut. Là, tout va changer pour Marie-Jo Pérec. Elle va devenir une grande professionnelle, et les résultats vont tomber très vite. Déjà elle réalisa 10s96 au 100m en juillet 1991, performance encore aujourd’hui hors d’atteinte des sprinteuses de l’Equipe de France. Puis, un mois plus tard, elle devint championne du monde du 400 m à Tokyo en 49s13. La route vers le titre olympique était grande ouverte! Et de fait, l’année suivante, elle remportera la médaille d’or à Barcelone avec le temps de 48s83, ce qui lui fera dire : « Je suis la recordwoman des non-dopées », allusion au record du monde officiel détenu par l’Allemande de l’Est Marita Koch (47s60) ou des 47s99 de la Tchèque Jarmila Kratochvílová qui la précéda sur les tablettes.

Ensuite, après une année 1993 peu probante en termes de résultat (une quatrième place aux championnats du monde sur 200m), elle décida de quitter Piasenta pour partir aux Etats-Unis dans le fameux groupe HSI de John Smith, véritable machine à fabriquer des champions. Et Marie-Jo Pérec va profiter au maximum de son exil américain, en remportant coup sur coup le 400m et le 4x400m aux championnats d’Europe 1994, puis le titre mondial sur 400m en 1995, avant l’apothéose en 1996 avec le doublé réussi aux J.O. d’Atlanta sur 400 et 200m, exploit réussi une seule fois dans l’histoire, par l’Américaine Valérie Brisco-Hooks (1984). Exploit d’autant plus considérable qu’il était assorti d’un temps de 48s25 sur 400m, performance époustouflante qui s’approchait à 65 centièmes du record de Marita Koch, et d’une victoire sur la Jamaïcaine Merlène Ottey sur sa distance fétiche du 200m.

Hélas ce sera son chant du cygne, car de problèmes de santé en problèmes tout court, elle ne retrouvera jamais son niveau et achèvera sa carrière sur une fausse note juste avant les J. O. de Sydney en 2000, après avoir pris comme entraîneur celui de Marita Koch…ce qui avait étonné jusqu’à ses plus fidèles supporters. Que s’est-il passé à Sydney alors que de l’aveu de son entraîneur, Méier, elle avait retrouvé un très haut niveau de performances. Avait-elle peur de perdre face à l’icône locale, Cathy Freeman ? Avait-elle été incapable de soutenir la pression devant les attentes que son retour suscitait ? Personne ne le saura jamais, sauf peut-être elle-même. Cela dit, personne n’oubliera l’ensemble de l’œuvre de Marie-José Pérec que, pour ma part, je considère comme la plus grande sportive française de tous les temps, parce qu’elle fut la meilleure sur sa distance pendant très longtemps dans le sport olympique numéro un.

Parlons maintenant de Christine Arron, sans doute la femme la plus rapide du monde entre 1998 et 2005. Si je dis cela ce n’est pas en raison de son palmarès, mais parce qu’elle ne s’exprimait jamais mieux que lancée, comme par exemple dans le dernier relais d’un 4x100m. Aucune femme ne pouvait lui résister dans la dernière ligne droite, comme en témoigne son dernier relais du 4x100m en finale des championnats d’Europe 1998 (9s7 lancée !), où elle reprit cinq mètres à la Russe Irina Privalova, qui pourtant avait remporté le titre sur 200m, et avait été médaillée de bronze sur 100m aux championnats du monde 1995. Enorme exploit qui restera dans les mémoires, comme sa ligne droite lors du relais 4x100m victorieux de la finale des championnats du monde 2003 à Paris. Là aussi, elle prit le bâton avec un bon mètre de retard sur l’Américaine Torri Edwards, championne du monde du 100m, pour l’emporter avec presque un mètre d’avance à l’issue d’une ligne droite d’anthologie. Quel fabuleux spectacle !

Mais comment se fait-il que Christine Arron n’ait pu obtenir ses meilleurs résultats qu’en relais, en dehors de son titre européen en 1998 et de ses deux médailles de bronze aux championnats du monde 1995 ? Il y a plusieurs réponses à cette question. Tout d’abord de multiples blessures qui n’ont cessé de perturber sa carrière, ce qui explique qu’en 1993 Piasenta ait envisagé de l’orienter sur 400m. Ensuite une sorte de complexe, dû sans doute aux soupçons qu’elle avait sur certaines de ses rivales, avec ce sentiment diffus qu’elle n’était pas à égalité avec elles. Et de fait, plusieurs de ses rivales sont tombées dans le cadre de la lutte contre le dopage, sans parler de celles qui n’ont duré qu’un été. Enfin une mise en action souvent indigne de la sprinteuse qu’elle était, ce qui explique aussi qu’elle était beaucoup plus libérée dans le relais parce qu’elle partait lancée, même si la prise de relais n’était pas parfaite.

Il n’empêche, c’est en demi-finale et en finale du 100 m des championnats d’Europe 1998 qu’elle allait réaliser ses plus beaux exploits. D’abord en demi-finale en « claquant » un temps de 10s81 avec un léger vent favorable, en déroulant dans les  dix derniers mètres. Ensuite en finale où elle l’emporta avec le temps extraordinaire de 10s73, avec l’aide d’un vent de 2m/s, et au prix d’une accélération prodigieuse après les 50 mètres qui lui permit de dépasser la Russe Privalova, qui avait pris un départ canon avant d’être finalement battue d’un bon mètre (10s83). Oui, je dis bien 10s73, un temps qui était certes loin des 10s49 de Florence Griffith Joyner que beaucoup d’amoureux d’athlétisme ont qualifié de stupéfiant, mais qui constitue toujours le record d’Europe, et qui n’a été battu depuis que par Marion Jones (10s65) en 1998  et Carmelita Jeter (10s64) en 2009. Ensuite, elle réussira deux très belles performances en compétition individuelle aux championnats du monde de 2005, où elle enleva la médaille de bronze sur 100m et sur 200m, après avoir donné l’impression de l’emporter sur 200m…ce qu’elle aurait peut-être réussi à faire si elle s’était concentrée sur cette seule distance.

Evidemment on pourrait dire beaucoup d’autres choses sur Christine Arron, petite fille d’un ancien très bon sprinter, magnifique athlète au sourire éclatant, dont son premier entraîneur, Eric Corenthin, disait d’elle à 15 ans qu’elle était « le plus pur talent du sprint féminin français de tous les temps », mais faire la liste de ses exploits serait fastidieux, car des exploits elle en a réalisé beaucoup, notamment en Golden League dans les grands meetings internationaux. En fait, par rapport à Marie-Jo Pérec, il lui a manqué la ponctualité aux grands rendez-vous des championnats planétaires, et cela, certains champions ou championnes l’ont et d’autres moins. Cela ne m’empêchera pas de mettre ces deux divas sur la même ligne dans l’admiration que je leur porte, heureux d’avoir vécu de si bons moments d’athlétisme avec ces deux superbes sprinteuses. Quand aurons-nous la chance de retrouver une autre athlète à ce niveau ? Peut-être jamais, car Marie-José Pérec est l’athlète française du vingtième siècle, et Christine Arron sa digne héritière. En tout cas, je souhaite de tout cœur que Christine Arron se qualifie pour les Jeux Olympiques de Londres, ne serait-ce que pour effacer certaines frustrations qui doivent parfois tarauder son esprit, par exemple n’avoir pas été au moins une fois championne olympique. Elle l’aurait tellement mérité, d’autant qu’aucune suspicion de dopage n’a jamais pesé sur elle.

Michel Escatafal