La légende dorée de Coppi s’apparente à celle de Napoléon

CoppiLe sport recèle dans son histoire quelques figures mythiques et légendaires qui resteront à jamais comme les références absolues de leur discipline. Et, bien entendu, plus ce sport est universel et plus grande est la gloire de ceux qui ont contribué à sa légende. Ils ne sont d’ailleurs pas très nombreux…parce qu’on n’arrive pas à leur trouver de défaut dans l’exercice de leur métier, ce qui permet de gommer leur imperfection d’humain. N’oublions pas qu’à l’origine la légende racontait la vie des saints, et c’est aussi pour cela que les grands sportifs sont considérés comme des demi-dieux, sortes d’Heraklès des temps modernes, héros par excellence parce que capables d’accomplir des exploits inimaginables pour tous les autres. On retrouve d’ailleurs chez ceux qui aiment et magnifient le sport les accents des historiens antiques ou modernes, ceux qui affirmaient que jamais le génie d’un Annibal n’avait aussi grand qu’au Lac Trasimène ou à Cannes en Apulie, ou que celui de Napoléon ne s’était exprimé aussi clairement qu’à Arcole, Austerlitz ou Iéna.

Pour ma part je ne citerais comme figures légendaires que Pelé, le footballeur brésilien, Ray Sugar Robinson le boxeur américain, et Fausto Coppi, le champion cycliste italien. Certes quelques autres monstres sacrés méritent aussi une place à part (Merckx, Hinault, Fangio, Senna, Blanco, Wilkinson, Marciano, Mohammed Ali, Leonard, Owens, Zatopek, Morrow, Kutz, Elliot, Carl Lewis, El Guerrouj, Bekele, Bolt, Spitz, Phelps, Di Stefano, Cruyff, Pancho Gonzales, Laver, Federer, Nadal, Michael Jordan, Tiger Woods, Loeb, etc.), mais Pelé, Robinson et Coppi avaient incontestablement une autre dimension.

Aujourd’hui je vais parler de Fausto Coppi , né le 15 septembre 1919 à Castellania dans le Piémont, et décédé le 2 janvier 1960 à Tortona, victime de la malaria après un séjour en Haute-Volta (Burkina Faso aujourd’hui), en compagnie de quelques autres grands champions (Géminiani, Anquetil, Rivière, Anglade, Hassenforder), où il avait pu sacrifier à la chasse, sa grande passion. Pour mémoire je rappellerais que Coppi n’eut pas la chance de Raphaël Geminiani, qui lui aussi contracta la même maladie, mais qui, contrairement à Fausto Coppi, fut diagnostiquée très tôt et traitée à la quinine. Pour mémoire aussi, j’ai gardé l’image de la reconnaissance qu’inspirait le campionissimo à ses gregari à travers ce geste d’Ettore Milano, un de ses coéquipiers préférés, veillant jusqu’au bout son ancien leader au pied de son lit, et exécutant pour la dernière fois un ordre…qui rappelait celui qu’il avait fait tant de fois sur la route quand il lui apportait de l’eau dans le peloton. Cette fois ce n’était pas de l’eau que lui demandait le campionissimo, mais de l’air. Et en bon gregario qu’il était resté, Milano changea la bombonne d’oxygène pour la dernière fois.

Le campionissimo allait mourir quelques heures plus tard à l’âge de 40 ans, inscrivant dans la postérité un mythe naît une quinzaine d’années auparavant, qui perdure depuis cette époque, et qui sans doute perdurera longtemps encore. Ce sera d’autant plus le cas, que Fausto Coppi est mort jeune, et que les dieux lui auront évité d’affronter la vieillesse, à défaut de l’avoir protégé du déclin, un déclin accentué par ses ennuis familiaux. Cela étant, l’histoire n’a retenu de lui que ses exploits sur la route ou la piste et sa manière de s’affranchir des obscurantismes de son époque, faisant oublier la lente agonie cycliste d’un champion qui n’en finissait plus d’achever une carrière extraordinaire, la plus belle à coup sûr de l’histoire à cette époque. Et pourtant cette carrière, tellement brillante, avait été interrompue pendant plus de deux ans (1943 à 1945) en raison de la deuxième guerre mondiale à laquelle il participa comme soldat, ce qui lui valut d’être fait prisonnier et d’attraper une première fois la malaria. En outre cette période où le monde était à feu et à sang avait provoqué, évidemment, l’arrêt des plus grandes compétitions du calendrier (Tour de France, Giro, classiques, championnats du monde).

Quelle serait l’ampleur du palmarès de Coppi sans la guerre ? Personne ne peut le dire avec certitude, mais il est vraisemblable qu’il aurait remporté en plus de tout ce qu’il a gagné  plusieurs Tours d’Italie, Tours de France, Tours de Suisse, quelques grandes classiques et le championnat du monde sur route. Sans doute serait-il tout près d’Eddy Merckx au nombre de grandes courses gagnées, avec toutefois une très grande différence de concurrence. N’oublions pas que la fin des années 40 et le début des années 50 ont regorgé de très grands champions, comme Bartali, Koblet, Kubler, Magni, Bobet et Van Steenbergen, pour ne citer qu’eux. Jamais Merckx n’a eu à affronter une telle pléiade de concurrents hors norme, pas plus qu’Hinault quelques années plus tard, ce qui veut dire qu’il se situait au-dessus de ces deux fuoriclasse.

Je rappellerais à ce propos qu’il est sans aucun doute le plus grand grimpeur de l’histoire du vélo, mais aussi un des deux ou trois plus grands rouleurs de tous les temps, comme en témoignent ses deux titres de champion du monde de poursuite, mais aussi son record de l’heure, et ses multiples victoires dans les grandes épreuves contre-la-montre (Grand prix des Nations, de Lugano etc.). Fausto Coppi est à coup sûr le plus grand champion de l’histoire du vélo, même si certains diront que c’est Merckx, d’autres Hinault, d’autres encore Anquetil ou Indurain. Non, Coppi était le plus grand, parce que les coureurs que je viens de citer ont tous été battus à un moment ou un autre, même à leur meilleur niveau, ce qui ne fut jamais le cas du meilleur Coppi avec, et j’insiste là-dessus, une concurrence infiniment plus redoutable.

Peut-être est-ce pour cela que, cinquante quatre ans plus tard, le mythe Coppi existe toujours, l’amour des fans étant nourri d’une génération à l’autre. Il est vrai que Coppi incarne un modèle absolu, tellement absolu que les coureurs actuels, y compris les plus jeunes, ne prononcent son nom qu’avec infiniment de respect. Peut-être aussi que sa mort absurde lui a donné un supplément de sacralité, et a contribué à enrichir encore un peu plus une légende où l’épopée et le tragique se côtoyaient, mais où celui que l’on appelait « le campionissimo » finissait toujours par triompher. Cela avait permis à l’ancien apprenti charcutier de Novi Ligure de découvrir les plaisirs de la vie de star, comme nous dirions aujourd’hui, sans oublier les rencontres avec les grands du monde de son époque : Orson Wells, Maurice Chevalier…et Winston Churchill, comme je l’ai découvert en lisant la Gazzetta dello Sport.

Il fut aussi à sa façon une sorte de précurseur, n’hésitant pas au début des années cinquante à afficher son amour pour Julia Occhini, appelée aussi la Dame Blanche, après avoir quitté son épouse légitime, véritable crime dans l’Italie de l’immédiate après-guerre, au point que ladite Dame Blanche fut incarcérée trois jours pour cause d’adultère sur dénonciation de son mari. Mais surtout il l’avait été par son comportement dans le métier de coureur cycliste. Il avait notamment senti l’importance du personnel médical autour de lui, de la diététique avec une alimentation équilibrée, de l’entraînement en montagne, autant de choses banales de nos jours, mais inédites à l’époque.

Enfin on ne soulignera jamais assez que c’était un homme généreux au vrai sens du terme, ce qui lui permit de recevoir l’affection et le respect de tous, à commencer par ses pairs, les autres coureurs. Et pourtant, dans ses grands jours, beaucoup l’ont maudit tellement il semblait facile là où les autres « finissaient à pied » comme on dit dans le jargon du vélo. Cela dit, sa supériorité était telle parfois que celui qui arrivait second derrière lui considérait cela comme une victoire. Ce fut notamment le cas de Maurice Diot à l’issue de Paris-Roubaix en 1950. Bref, pour moi comme pour beaucoup d’autres sportifs et amateurs de sport, Fausto Coppi a été et restera sans doute pour l’éternité « le meilleur des meilleurs », pour le cyclisme en particulier et pour le sport en général.

Michel Escatafal


Ibrahimovic zlatane le foot féminin? Faux !

Lotta SchelinibrahimovicQui a dit cela ? « Vous ne pouvez pas comparer le football masculin avec le football féminin. L’attention que le football féminin obtient dans notre pays (la Suède) est sans équivalent dans le monde. C’est en soi une chose étonnante. Attention, elles accomplissent leur travail merveilleusement bien, et elles continueront à le faire, mais on ne peut pas comparer la performance individuelle d’une femme avec celle d’un homme« .  Réponse: Zlatan Ibrahimovic, une des trois grandes stars mondiales du football, avec C. Ronaldo et Messi (désolé pour Ribéry, mais il ne tire pas dans la même catégorie!). Voilà le genre de phrases qui déclenche aussitôt une polémique grotesque, et, si j’emploie cet adjectif, c’est parce que je ne suis pas, loin de là, de ceux qui ne trouvent aucun intérêt pour le sport  féminin (voir mon article sur ce site : Le sport se conjugue aussi au féminin). Au contraire, je trouve la même beauté que chez les hommes dans les gestes ou les courses des sportives féminines dans des sports tels que le tennis, l’athlétisme, la natation, la gymnastique ou le ski, pour ne citer qu’eux. Et je n’hésite pas à écrire qu’une victoire en finale olympique sur 100m, en athlétisme, a pour moi la même valeur, qu’elle soit remportée par un homme ou une femme. En revanche, désolé de le dire, mais pour moi ce ne sera jamais le cas pour le football, le rugby, la boxe ou le vélo.

Je ne regarderais jamais avec la même passion un match de vitesse (cyclisme sur piste) disputé par deux hommes ou par deux femmes, et je l’assume parfaitement. Y-a-t-il plus beau spectacle, au vrai sens du terme, qu’un affrontement entre Baugé et Pervis ou Kenny ? Réponse, NON, tellement un match de vitesse recèle à la fois la force physique dans ce qu’elle a de plus pur, la technique dans ce qu’elle a de plus affirmé, et une beauté gestuelle digne des plus belles représentations artistiques. Ce n’est quand même pas pour rien qu’on affublait autrefois les sprinters du nom, ô combien juste, « d’aristocrates de la piste». Et puisque je parle de beauté gestuelle, qui oserait comparer celle de Ray Sugar Robinson, Mohammed Ali ou Ray Leonard avec celle des boxeuses féminines ?  En revanche je me souviens bien de mon professeur de tennis, à l’époque où j’apprenais à jouer, me conseillant de bien observer le service et la volée de Martina Navratilova ou le coup droit de Chris Evert, tellement le geste était à la fois pur et précis, et j’ajouterais d’une beauté rare.

Cela dit, à part quelques féministes qui s’effarouchent à la vitesse de la lumière, qui peut s’offusquer des propos tenus par Zlatan Ibrahimovic, surtout quand, en plus, on connaît le goût de la provocation du géant suédois ? A priori personne, d’autant que je ne vois pas vraiment ce qu’il y a de sexiste dans ses propos, soulignant au passage qu’elles « accomplissent leur travail merveilleusement bien ». Il faut vraiment être de mauvaise foi pour en faire un sujet de polémique. En outre, qui connaît, même en Suède, le nom des grandes vedettes du football féminin ? Je suis intimement persuadé que si tout le monde dans ce pays connaît Ibrahimovic, comme on connaissait autrefois Gren, Nordhal, Liedholm, Hamrin ou Skoglund, peu de monde pourrait citer plus d’une ou deux joueuses de football.

Pour ma part, on me demanderait quelles sont les meilleures joueuses actuelles, je serais bien en peine d’en citer une seule, sauf Lotta Schelin (attaquante de Lyon), dont j’ai découvert le nom en lisant l’article que le journal L’Equipe a consacré à cette pseudo affaire (Quand Zlatan Ibrahimovic se moque du football féminin). Et je suis certain que la quasi-totalité de ceux qui s’intéressent au football sont dans mon cas dans la plupart des pays, comme en témoignent les tribunes vides à chaque match retransmis sur les différentes chaînes sportives…ce qui se comprend quand on sait que le football masculin est né à la fin du dix-neuvième siècle, alors que le football féminin essaie désespérément de prendre son envol depuis le début du nouveau siècle. Et pourtant on ne peut pas dire que les télévisions ou autres médias n’en font pas des tonnes pour donner de la notoriété au football féminin, espérant secrètement que si ce sport se féminise, comme l’ont fait le tennis ou l’athlétisme, les retombées commerciales en seront considérables vu le nombre de pays où le football est le sport-roi.

Pour ce qui me concerne, ce qui me dérange le plus, c’est ce désir irrépressible de vouloir mettre sur un même plan les femmes et les hommes dans le sport, au point d’avoir modifié de fond en comble le programme olympique d’un des sports les plus anciens aux J.O., le cyclisme sur piste, pour que la parité soit totale entre les épreuves masculines et féminines. Ainsi, au nom de ce principe égalitariste, on en est arrivé à cette aberration de voir une épreuve comme le kilomètre (présente aux premiers J.O.) être supprimée du programme. Et que dire de l’épreuve de vitesse qui ne peut accueillir qu’un sprinter par nation…ce qui dénature complètement une compétition où les meilleurs sont répartis dans quelques nations (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Australie). Imagine-t-on un 100m en athlétisme (masculin ou féminin) avec un seul représentant de la Jamaïque et des Etats-Unis, ou des épreuves de demi-fond (masculines ou féminines) avec un seul représentant du Kenya et de l’Ethiopie ? Impensable, et pourtant c’est le cas dans la vitesse masculine aux J.O., où un seul de nos deux cracks de la piste, Baugé (quadruple champion du monde de vitesse individuelle) et Pervis (champion du monde du kilomètre et recordman du monde du 200m lancé et du kilomètre), pourra participer à la vitesse aux J.O. de Rio de Janeiro. Ridicule !

Et sachant que certains vont me vouer aux gémonies, je voudrais terminer en notant que si les féministes sont outrées parce qu’on ne considère pas les femmes à leur juste valeur sur le plan sportif, nombre de vedettes féminines se rattrapent largement en posant pour les magazines…préférés des hommes. Pour ma part, cela ne me dérange nullement, mais je m’aperçois qu’on n’entend jamais, ou très rarement, les féministes se scandaliser devant ces pratiques que je qualifierais de mercantilistes. Certains vont me rétorquer, que faute de toucher les mêmes émoluments que les hommes, faute aussi d’avoir la même exposition médiatique, il faut bien trouver un moyen de se faire connaître ou de promouvoir son image d’une autre manière. Certes, mais que dire de certaines stars du tennis féminin qui, pourtant, gagnent autant d’argent que leurs collègues masculins! Cela étant, reconnaissons qu’Ana Ivanovic, Agnieszka Radwanska, Daniela Hantuchova, Caroline Wozniacki sont vraiment magnifiques à regarder…qu’elles jouent au tennis ou qu’elles posent pour des magazines. Ah, on va dire que je suis un horrible macho…mais je m’en moque!

Michel Escatafal


Luis Ocaña, le Campeador de Mont-de-Marsan (partie 2)

Luis OcanaLe Tour de France 1971

Au départ de ce Tour de France 1971, Ocaña avait à sa disposition une équipe Bic très forte (Labourdette, le Danois Mortensen, Berland, Campaner, Genty, Grosskost, Letord, Vasseur et Johnny Schleck) qui supportait parfaitement la comparaison avec la Molteni de Merckx (Bruyère, Huysmans, Mintjens, Spruyt, Stevens, Sweerts, Van Schill, Van Springel et le Néerlandais Marinus Wagtmans). Cette équipe Bic prouvera sa valeur à maintes reprises, et saura tranquilliser son leader chaque fois que cela s’avèrera nécessaire, par exemple lors de l’incursion du Tour en Belgique, qui faisait très peur à quelques favoris, dont l’Italien Motta, le Portugais Agostinho et plus encore peut-être Ocaña. Ces favoris, sauf Agostinho et Bracke, nous allions les retrouver aux avant-postes  dès la deuxième étape entre  Mulhouse et Strasbourg, où Eddy Merckx, vainqueur devant De Vlaeminck, fit un travail tellement considérable que cent quinze coureurs terminèrent à dix minutes.

Après le passage en Belgique qui n’apporta finalement aucun changement parmi les candidats aux premières places, le Tour de France atteignit la station du Touquet, où les coureurs bénéficièrent de leur premier jour de repos, avec une situation très resserrée entre les premiers du classement général. Luis Ocaña, par exemple, accusait un retard de moins de cinquante secondes sur Eddy Merckx, ce qui était peu avant la première grande incursion en montagne entre Nevers et Clermont-Ferrand, comportant l’arrivée au sommet du Puy-de-Dôme.  Qu’allait-il se passer sur ces pentes à jamais célèbres depuis le fameux mano a mano entre Anquetil et Poulidor en 1964 ? Pas tout à fait ce qui était envisagé par de nombreux suiveurs, puisque sur une franche attaque de Raymond Delisle, puis ensuite de Tamames et Paolini, Merckx parut en difficulté. C’est le moment que choisit le jeune Bernard Thévenet pour attaquer à son tour, avec Ocaña dans son sillage. Et, ô surprise, Merckx semblait « planté » sur son (trop) gros développement, et ne put accompagner ses rivaux.

Un peu plus haut, Thévenet et Ocaña rejoignirent Tamames et Paolini, et les laissèrent sur place, avant qu’Ocaña ne place une accélération qui le mit en un instant hors de portée de ses adversaires. L’Espagnol de Mont-de-Marsan s’envola au milieu de l’épais brouillard qui dissimulait le sommet, et s’il ne creusa pas un écart considérable (7 secondes sur Zoetemelk et 13 sur Agostinho), il parvint à reprendre une quinzaine de secondes à Merckx, qui s’était bien repris dans le dernier kilomètre et qui conservait ainsi son maillot jaune. Il n’empêche, cet épisode ne faisait qu’accroître la confiance d’Ocaña, lequel se disait qu’avec les Alpes, puis ensuite les Pyrénées à venir, ses chances de gagner devenaient réelles, étant entendu qu’il perdrait au maximum 30 ou 40 secondes sur le champion belge le dernier jour contre-la-montre entre Versailles et Paris, sur une distance de 53 km.

La suite allait être encore plus favorable pour  notre Landais d’adoption, puisque dans la dixième étape, Saint-Etienne – Grenoble, Merckx creva dans la descente du col du Cucheron alors qu’il n’avait plus d’équipier autour de lui, ces derniers s’étant épuisé à chasser depuis la Croix Bayard Désiré Letord, envoyé en éclaireur par le directeur sportif des Bic, Maurice de Muer, pour préparer une offensive de Luis Ocaña. En fait cette crevaison allait chambouler les plans de l’équipe Bic, même si elle avait atteint son objectif en isolant complètement Eddy Merckx, car au moment où le coureur belge zigzaguait dangereusement à cause de sa crevaison avant même de poser les pieds au sol, Ocaña passa aussitôt à l’offensive accompagné de Thévenet, Petterson et Zoetemelk, les quatre hommes terminant aux quatre premières places, la victoire revenant à Bernard Thévenet. Merckx de son côté arrivait 1mn 36s après le quatuor de tête, et perdait son maillot jaune au profit de Zoetemelk, qui devançait Ocaña d’une petite seconde, mais pour ce dernier l’essentiel était que Merckx fût derrière lui au classement général. Et tout cela grâce à un incident mécanique, ce qui à l’époque n’a offusqué personne…contrairement à ce que l’on a pu entendre en 2010 dans le Port de Balès, où Andy Schleck eut un incident mécanique au plus mauvais moment, ce qui profita à Contador.

A ce moment la plupart des suiveurs étaient partagés sur l’issue de ce Tour 1971, beaucoup voyant dans cet épisode un signe que Merckx pouvait le perdre, alors qu’il lui était destiné quelques jours auparavant. C’était l’avis de Louison Bobet, qui, en outre, appréciait au plus haut point le spectacle dans la mesure où celui-ci retrouvait une part d’incertitude, après deux années d’outrancière domination du « Cannibale ». Le triple vainqueur du Tour allait vite avoir confirmation que Merckx était vulnérable. Il suffisait d’attendre le lendemain dans l’étape menant les coureurs de Grenoble à Orcières-Merlette, qui restera pour l’éternité comme un des plus beaux moments de l’histoire du Tour de France. Ce jour-là, en effet, Ocaña allait nous offrir un morceau d’anthologie digne du meilleur Fausto Coppi, celui des Tours de France 1949 et 1952 ou du Giro 1953. Et si nous faisons cette comparaison, c’est parce que Luis Ocaña  allait mettre à genoux le grand Eddy Merckx lui-même, coureur au palmarès déjà exceptionnel à cette époque.

Cette étape mérite d’être contée par le menu. La course démarra dès le kilomètre 13, à la sortie de Grenoble où se dresse la célèbre côte de Laffrey, qui allait imposer au peloton, fourbu par les efforts de la veille, un effort d’autant plus terrible que la canicule faisait déjà son œuvre sur les organismes. Cette chaleur n’empêcha pas Agostinho de démarrer dès les premiers hectomètres de la côte, suivant en cela les consignes de Géminiani qui dirigeait à l’époque l’équipe Hoover-De Gribaldy. Aussitôt Ocaña bondit dans sa roue suivi par Van Impe et Zoetemelk…mais pas par Merckx. De quoi donner à ces coureurs un moral à toute épreuve, notamment Ocaña, qui assurait un train d’enfer sans demander le moindre relais à ses accompagnateurs.

Ceux-ci déposèrent les armes un à un dans le col du Noyer, le dernier lâché étant Lucien Van Impe, remarquable grimpeur belge, six fois vainqueur du Grand prix de la Montagne dans le Tour de France et vainqueur du classement général en 1976. Du coup Ocaña se trouvait seul alors qu’il restait encore 70 km à parcourir, mais à ce moment le fier hidalgo de Mont-de-Marsan ne sentait plus les pédales. De son propre aveu il volait littéralement, comme si à travers cette chevauchée fantastique il réalisait son rêve d’enfant, oubliant du même coup tout ce qu’il avait enduré comme échecs ou déboires avant d’en arriver là, effaçant aussi l’impression d’invincibilité attachée à la personne d’Eddy Merckx. Cette fois le « Cannibale » était à sa merci, et il fallait l’éliminer définitivement de la course au maillot jaune. La mission fut accomplie à la perfection, Ocaña ralliant l’arrivée au sommet d’Orcières-Merlette avec 5mn 52s d’avance sur Van Impe, et 8 mn 42s sur un Merckx au visage marqué comme jamais, accompagné de Zoetemelk, Petterson et Labourdette, équipier de Luis Ocaña .

Ocaña avait-il gagné le Tour de France ? Sans doute car, sauf accident, il était impossible, compte tenu de la supériorité de l’Espagnol en montagne, que le super champion belge puisse rattraper un retard au classement général de 9 mn 46 s. En tout cas il avait remporté une bataille somptueuse, qui ne laissait aucun doute sur la suprématie qui était la sienne sur l’ensemble du peloton, un peloton qui aurait été complètement décimé (60 coureurs éliminés) si les organisateurs n’avaient pas décidé de ramener les délais d’élimination de 12 à 15%. Cependant, avec Eddy Merckx, il fallait toujours se méfier, car si admettre une défaite, aussi lourde soit-elle, lui paraissait acceptable, il n’était pas question de se rendre sans combattre. Et il allait le prouver lors de l’étape suivante, ce qui offrit au Tour de France une nouvelle journée exceptionnelle.

La riposte avait été préparée le lendemain de l’arrivée à Orcières-Merlette, pendant la journée de repos, par le directeur sportif du « Cannibale », Guillaume Driessens, le but étant de mettre au point une stratégie destinée à déstabiliser Ocaña, moins habitué que Merckx à la pression imposée par le maillot jaune. La meilleure preuve qu’Ocaña n’imaginait pas qu’il pût se passer quelque chose entre Orcières et Marseille, nous la retrouvons dans le fait qu’il faillit manquer le départ à cause des multiples interviews auxquelles il se crut obligé de répondre. C’était oublier qu’il avait en face de lui un combattant exalté, résolu et irréductible, qui avait élaboré un plan diabolique qui pouvait lui permettre, en cas de réussite, de rattraper une partie de son retard, et surtout d’atteindre le moral de son rival. Ce plan consistait à lancer à fond l’étape dès les premiers hectomètres à la faveur des six kilomètres de descente du sommet de Merlette au lieu-dit Les Granauds, la pente devenant beaucoup plus douce par la suite. Ce fut Wagtmans, intrépide descendeur, qui fut désigné pour sonner la charge avec dans son sillage toute l’équipe Molteni, plus quelques coureurs comme Aimar, lui aussi excellent descendeur, et un seul coureur de l’équipe Bic, Désiré Letord. Mais où était le maillot jaune ? A l’arrière tout simplement, d’autant qu’après trois kilomètres de descente l’Espagnol Zubero tomba devant lui, ce qui contraria quelque peu la mise en place de la poursuite.

Celle-ci allait durer pendant cinq heures, en fait jusqu’à l’arrivée sur le Vieux-Port, l’écart entre le groupe de tête et celui du Maillot jaune oscillant entre une et deux minutes pendant près de 250 km. L’allure de cette étape fut tellement folle que l’arrivée se déroula presque sans spectateurs, les coureurs ayant une demi-heure d’avance sur le meilleur horaire prévu. Pour l’anecdote, le vainqueur de cette étape ne sera pas Eddy Merckx, bien qu’il l’eût amplement mérité, mais l’Italien Armani qui le devança d’un pneu sur la ligne. Résultat, Merckx avait repris 1mn 56s à son rival espagnol, ce qui fit dire à nombre de suiveurs qu’en fait le Belge avait remporté une victoire à la Pyrrhus, dans la mesure où il était encore à 7 mn 34 secondes d’Ocaña au classement général, sans parler de la débauche d’efforts qu’il s’était imposé et avait imposé à son équipe, alors que l’équipe Bic avait pu compter sur l’aide, ô combien précieuse, des Fagor-Mercier qui défendaient le maillot vert de Cyrille Guimard….dont l’adversaire principal était précisément Eddy Merckx. A noter que cinquante coureurs n’ayant pu suivre le train infernal des deux groupes antagonistes allaient frôler l’élimination !

Le Tour était-il fini cette fois après ce magnifique baroud d’honneur d’Eddy Merckx et des Molteni ? Certainement…sauf accident, impression confirmée par l’étape contre-la-montre du lendemain entre Albi et Revel sur une distance de 16 kilomètres. En effet, si Merckx remporta l’étape, il ne reprit que 11 secondes au porteur du maillot jaune, celui-ci devançant dans l’ordre Grosskost, Guimard et Bracke. Plus que jamais, surtout avec les Pyrénées à venir, Ocaña sentait la victoire à sa portée, alors que Merckx savait au fond de lui-même qu’il était battu. Il le savait tellement, que ne supportant pas l’idée de la défaite il chercha une mauvaise querelle à son adversaire, affirmant que celui-ci avait été avantagé par la présence à ses côtés d’une voiture de la télévision, ce qui était faux, et prétendant qu’une moto arrêtée dans un virage avait été tout près de le faire tomber. Autant d’arguties inutiles et indignes d’un grand champion, qui refusait d’admettre qu’il était en train de se faire battre par plus fort que lui. En outre cela ne faisait que contribuer à accentuer l’animosité des Français à l’égard de Merck, et, par voie de conséquence, à installer encore un peu plus « l’Ocamania » dans notre pays, les Français étant vexés de voir un Belge écraser un à un tous les coureurs français ( Pingeon, Poulidor, Aimar…) dans le Tour de France et ailleurs.

Pourtant Ocaña ne remportera pas ce Tour, par la faute des dieux qui déclencheront une tempête dans la descente du col de Mente, après que le coureur castillan eut réprimé, avec une extrême facilité, une attaque désespérée de Merckx dans la montée. Attaque qui démontrait à quel point était grande la supériorité d’Ocaña dès que la route s’élevait. Ce dernier s’était d’ailleurs promis de régler définitivement son compte à son rival dans le col du Portillon, précédant l’arrivée à Luchon. Hélas pour lui, son Tour de France allait s’achever dans cette maudite descente, par la faute des dieux certes, mais surtout par la faute involontaire d’Eddy Merckx lui-même. En effet, alors qu’un énorme orage venait d’éclater dans la montagne, où pluie et grêle se mêlaient transformant la route en patinoire, Merckx dérapa dans un virage et tomba…entraînant dans sa chute Ocaña.

Merckx se releva prestement après avoir remis sa chaîne en place, Ocaña faisant de même. Mais, par précaution, Ocaña choisit de changer la roue arrière que lui tendait Maurice de Muer. L’opération se déroula parfaitement, sauf qu’au moment de repartir, arriva Zoetemelk incapable de s’arrêter avec son pneu avant crevé, percutant de plein fouet le coureur de Mont-de-Marsan. Touché aux reins, le porteur du maillot jaune se retrouvera un peu plus tard à l’hôpital de Saint-Gaudens. Le Tour avait basculé sur un coup du sort, preuve que rien n’est fini avant d’avoir franchi la ligne d’arrivée. Cet épisode dramatique allait déclencher une cabale anti-Merckx aussi stupide que vaine, certains « supporters » d’Ocaña allant jusqu’à cracher sur le coureur belge dans l’ascension des cols. Ah, les soi-disant supporters ! Quel manque d’égards envers les coureurs, alors que ceux-ci se respectent entre eux ! La preuve, Merckx refusa de porter le maillot jaune lors de l’étape suivante par respect pour Ocaña, dont il avait provoqué bien involontairement le malheur. Cela dit, le comportement des « supporters » n’a guère changé depuis cette époque.

Pour revenir à ce Tour 1971, tellement extraordinaire à tous points de vue, le résultat final en est presque anecdotique. Ce fut Merckx qui l’emporta avec 9mn 52 s d’avance sur Zoetemelk et 11mn 06s sur Van Impe. Néanmoins, pour tout le monde, le vainqueur moral était Luis Ocaña, qui l’emportera deux ans plus tard, en 1973, sans avoir le plaisir de battre Merckx, absent cette année-là, qui avait préféré tenter et réaliser le doublé Vuelta-Giro. Le grand champion belge avait eu raison de ne pas venir affronter son rival espagnol dans ce Tour, car il aurait été laminé de la même façon que Thévenet, deuxième à plus d’un quart d’heure au classement général, Fuente et Zoetemelk, respectivement troisième et quatrième à 18 minutes, Van Impe terminant cinquième à plus de 26 minutes !

Oui, ceux qui n’ont pas connu cette époque doivent savoir que Luis Ocaña, dans ses moments de grâce, pouvait dominer Eddy Merckx dans un grand tour, comme il le démontra en 1971, à condition d’y arriver en bonne santé et d’être épargné par la malchance. Il était supérieur au Belge en haute montagne, et presque son égal contre-la-montre. C’est pour cela que j’ai écrit précédemment que Luis Ocaña me faisait penser à Hugo Koblet, seul authentique rival du meilleur Coppi au début des années cinquante, à peine moins fort que lui dans les cols, mais quasiment son équivalent contre-la-montre. Il y fait d’autant plus penser que, comme le fuoriclasse suisse, il donna l’impression de passer dans le cyclisme comme une étoile filante, avec la beauté et le romantisme qui s’y rattachent. Enfin, dernière similitude dramatique entre ces deux surdoués, ils eurent une vie aussi courte que leur carrière, Koblet étant décédé à l’âge de 39 ans, et Ocaña à 49 ans. Cela étant, le peu d’années qu’on les a vus sur un vélo sont largement suffisantes pour que leur nom figure au Panthéon des coureurs cyclistes.

Michel Escatafal.


Luis Ocaña, le Campeador de Mont-de-Marsan (partie 1)

OcanaIl arrive parfois que trop de communication se retourne contre ceux qui se livrent à ce jeu…presque obligatoire de nos jours. Si j’écris cela c’est parce que le vainqueur du dernier Tour de France, Chris Froome, qui a écrasé sur la route tous ses concurrents, vient de révéler…qu’il était malade depuis quatre ans, souffrant de bilharzioze, une maladie tropicale parasitaire qui, chez les adultes, peut diminuer leurs capacités de travail. Il n’en fallait évidemment pas davantage pour que certains s’interrogent encore un peu plus sur ce coureur venu de nulle part, avant de réussir l’exploit de finir second du Tour d’Espagne 2011, après avoir aidé son leader, Wiggins, durant la quasi-totalité de l’épreuve.

Depuis Froome a fait son chemin, au point d’avoir réduit au rôle de comparse des coureurs comme Contador, Rodriguez, Valverde, Kreuziger ou Quintana, entre février et juillet. Je ne participerais pas évidemment à ce débat, car, jusqu’à preuve du contraire, Froome a tout simplement été le meilleur, comme tant d’autres vainqueurs du Tour de France avant lui. J’ajoute en plus, que celui qui pourrait être considéré comme son plus grand rival, Alberto Contador, a reconnu lui-même que Froome lui avait été supérieur, et surtout qu’il s’était mieux préparé que lui, en évitant notamment de se disperser dans des opérations commerciales, incompatibles avec le métier de coureur cycliste au plus haut niveau. Espérons que Contador aura compris cette leçon douloureuse, ce qui lui permettra de retrouver son vrai niveau, pour le plus grand bonheur de ses fans et des amateurs de vélo. Un duel au sommet entre Froome et Contador au maximum de leurs moyens, voilà qui enchante déjà les amateurs de vélo, les vrais du moins, ceux qui ne voient pas ce sport uniquement à travers le prisme du dopage, un duel qui rappellera aux amateurs de vélo ceux qui ont opposé Coppi et Bartali, Coppi et Koblet, Anquetil et Poulidor, Hinault et Fignon ou Merckx et Ocaña.

En évoquant ces deux derniers noms, cela me fait une transition toute trouvée pour signaler que le site de cyclisme espagnol Biciciclismo, que je recommande à tous les hispanophones, a longuement évoqué ces derniers jours un livre qui vient de sortir, consacré à Luis Ocaña, un des plus doués parmi les grands champions qu’a connu le cyclisme sur route. Un champion que l’on connaît très bien en France, puisqu’il a passé la plus grande partie de sa vie chez nous, plus particulièrement dans le Sud-Ouest (Gers, Landes), où il est arrivé à l’âge de 12 ans. Ocaña a également travaillé dans cette région, obtenant son premier emploi (apprenti menuisier) à l’âge de 15 ans à Aire sur Adour. Ensuite il déménagera à Mont-de-Marsan (Landes) pour intégrer l’équipe cycliste du Stade Montois, qu’il rendra presque aussi célèbre que son équipe de rugby avec les Boniface et Darrouy. Dans la capitale landaise, ville qui a la chance d’avoir un vélodrome avec une piste en asphalte, il fera connaissance de celle qui allait devenir sa femme, Josiane, fille d’un transporteur montois, cette dernière lui ayant remis le bouquet de vainqueur lors d’un grand prix cycliste à Saint-Pierre du Mont, commune attenante à Mont-de-Marsan.

On comprend pourquoi à travers cette mini biographie relative à sa jeunesse, on l’appelait, quand il gagnait,  l’Espagnol de Mont-de-Marsan. En revanche, et c’est bien français, quand il perdait il redevenait espagnol tout court. Pour ma part je l’appellerais Campeador, qui signifie guerrier illustre ou vainqueur de batailles, tellement il eut à en livrer, sur la route comme dans la vie de tous les jours, sa santé n’étant pas, hélas, à la hauteur de son extraordinaire talent, ce qui l’a privé d’un palmarès bien au-dessus de celui qu’il affichait en fin de carrière. Et pour couronner le tout, quand il n’était pas malade, c’est la malchance qui le frappait, comme par exemple dans le Tour de France 1971, qu’il dominait cette année-là de la même manière que le fit 20 ans plus tôt, dans la même épreuve, un autre surdoué à qui il ressemblait beaucoup, Hugo Koblet. Si j’évoque cette ressemblance avec le merveilleux coureur suisse (voir mon article sur ce site intitulé Koblet : une image magnifiée du vélo), c’est parce qu’ils durent affronter l’un et l’autre les deux plus grands champions de l’histoire du vélo, Coppi et Merckx, parvenant même parfois à les dominer « à la régulière », même à leur plus belle époque.

En faisant ce rappel historique, cela me fait une transition toute trouvée pour évoquer précisément ce fameux Tour de France 1971, qui a consacré définitivement Luis Ocaña comme un très grand champion. A ce moment, Luis Ocaña, avait 26 ans, et comptait déjà à son palmarès la semaine Catalane et le Midi-Libre (1969),  mais aussi la Vuelta et le Dauphiné, sans oublier sa victoire en solitaire dans l’étape du Tour de France, Toulouse-Saint-Gaudens, autant de courses remportées en 1970. Mieux encore, il avait failli battre le crack belge dans le Dauphiné 1971, Merckx ne devant son salut qu’à la pluie…ennemie de Luis Ocaña. Certes ce dernier n’avait pas gagné, mais ce Dauphiné allait s’avérer comme  une sorte de déclic pour le fier Espagnol, d’autant qu’outre ses qualités de grimpeur connues et reconnues, c’était aussi un remarquable rouleur, comme il l’avait démontré en 1967, en remportant le grand prix des Nations amateurs.

Et s’il en fallait une preuve supplémentaire, nous l’aurions dans ce même Dauphiné 1971, où il ne concéda que vingt-quatre secondes à Eddy Merck sur les 27 km séparant Le Creusot de Montceau-les-Mines, récupérant même une seconde dans la deuxième moitié du parcours. Pour situer la valeur de la performance d’Ocaña, il suffit de savoir que Ferdinand Bracke, le recordman du monde de l’heure, avait terminé à la troisième place à 40 secondes, lui-même devançant dans l’ordre Grosskost, Thévenet et Poulidor. Une telle performance ne pouvait que conforter l’Espagnol de Mont-de-Marsan dans ses certitudes, d’autant que pour la première fois depuis longtemps il ne souffrait d’aucun mal récurrent, notamment le foie, grâce au traitement prescrit par un médecin de Bilbao.

Michel Escatafal


Pervis : Hip hip hip hourra !

pervisSi François Pervis était né en 1930, il aurait fait une carrière extraordinaire, et, plus encore peut-être, il serait sans doute très riche. En effet, s’il avait fait l’essentiel de sa carrière dans les années 50, il aurait été un des sportifs les mieux payés de notre pays, et on se serait battu pour le voir courir un peu partout en Europe, voire même en Amérique, surtout après avoir réalisé deux retentissants exploits comme ceux qu’il vient de faire à Aguascalientes, au Mexique, ces derniers jours. Quel est le plus grand de ces deux exploits ? Son temps stratosphérique sur 200m lancé (9s347) ou celui, qui ne l’est pas moins, sur le kilomètre (56s303)? Difficile de se prononcer, même si personnellement je pencherais plutôt pour celui sur le kilomètre, en raison notamment de la différence faite avec ses concurrents, notamment le second d’entre eux, l’Allemand Maximilian Levy (champion du monde de keirin en 2009 et de vitesse par équipes en 2010, 2011 et 2013), qui a terminé à plus d’une seconde et demie (57s949), ce qui est tout simplement considérable.

Certes ces performances exceptionnelles ont été réalisées sur une piste ultra rapide, dans des conditions parfaites, avec l’avantage de l’altitude (plus de 1800m), mais cela représente quand même un moment d’anthologie pour le cyclisme, pour la piste, et tous ceux qui aiment passionnément le vélo. Dommage simplement que les plus jeunes n’aient pas connu ou seulement très peu entendu parler du cyclisme sur piste, car eux (les pauvres !) n’ont pas vraiment idée de la portée de l’exploit de François Pervis. Pour mémoire je rappellerais que le record du monde du 200m lancé était, il y a cinquante ans (en 1963), de 10s099, temps réalisé sur piste couverte en 1990 par le Russe Adamachvili. Et toujours en 1963, le record du kilomètre était détenu par l’Allemand de l’Est Malchow en 1mn02s091. Rappelons aussi que Pierre Trentin, champion olympique du kilomètre en 1968, avait réalisé à Mexico un temps de 1mn03s91, et que les précédents détenteurs de ces deux records battus par Pervis étaient français, Kevin Sireau pour le 200m (9s572 à Moscou en 2009) et Arnaud Tournant pour le kilomètre (58s875 à La Paz en 2001).

On mesure à travers les performances de François Pervis à Aguascalientes le bond en avant qu’il a fait faire à ces records, mais aussi que, malgré son manque de notoriété, le cyclisme sur piste a réalisé de grands progrès depuis quatre ou cinq décennies. Cela démontre tout simplement qu’outre l’amélioration des pistes et du matériel, ces jeunes gens conduisent leur carrière de la même façon que s’ils étaient traités avec les égards octroyés aux as des vélodromes dans les années 50. Ces derniers en effet, avaient à cette époque la possibilité de faire fructifier leur talent dans des réunions qui attiraient 15 ou 20.000 spectateurs, qui se massaient pour aller admirer des matches en poursuite entre Coppi et Schulte ou Bevilacqua et Peters, et des matches de vitesse opposant les monstres sacrés qu’étaient Harris, Derksen, Plattner, Van Vliet ou Maspès, sans oublier les « américaines » qui avaient pour grandes vedettes des champions comme Von Buren, Koblet, Senfftleben , Arnold ou Terruzzi.

Et tous ces gens participaient évidemment aux courses de six-jours, où les spectateurs se pressaient tellement aux guichets qu’ils menaçaient de faire écrouler les enceintes qui les abritaient. A cette époque les pistards étaient rois, au point que les meilleurs routiers (Coppi, Bobet, Anquetil, Darrigade, Van Steenbergen, Ockers etc.) se faisaient un devoir de participer à ces épreuves. Et oui, c’était le bon temps pour les pistards et le cyclisme, parce qu’on parlait vélo de janvier à décembre, alors qu’aujourd’hui la seule chose dont on parle toute l’année à propos du cyclisme est le…dopage. Le reste du temps on en parle un peu dans les médias au moment des classiques sur route du printemps, pendant le Giro, la Vuelta et lors des championnats du monde, et davantage pendant le Tour de France…en raison des vacances. Quant à la piste, totalement absente entre mars et novembre, on évoque son existence en quelques lignes quasi exclusivement dans les journaux sportifs.

Heureusement d’ailleurs qu’il y a les chaînes payantes, sinon on ne verrait même pas en direct les épreuves du championnat du monde. Tout cela est vraiment désolant ! Et ce l’est d’autant plus que les sponsors qui veulent investir dans le cyclisme le font essentiellement sur la route. Même le cyclo-cross bénéficie de ressources supérieures à la piste. Il suffit de comparer les gains des meilleurs champions des sous-bois avec les pistards, lesquels n’ont guère que quelques épreuves de Coupe du Monde pour se montrer, et encore ne peuvent-ils le faire qu’en cas de record du monde, plus les championnats du monde et les Jeux Olympiques tous les quatre ans. Donc pour le grand public, on entend parler de vitesse individuelle ou par équipes, de keirin, d’omnium et de poursuite par équipes que tous les quatre ans ou presque.

On a même supprimé le kilomètre et la poursuite individuelle du programme olympique, qui y figuraient respectivement depuis 1928 et 1964! Et en plus, même dans l’épreuve reine du cyclisme sur piste, la vitesse individuelle, un pays n’a droit qu’à un seul compétiteur…ce qui dévalorise complètement la compétition. A-t-on imaginé le 100m en athlétisme avec un seul Jamaïcain ou un seul Américain aux J.O. ? Comment l’UCI a-t-elle pu accepter cela en 2010 ? Ah si, j’oubliais : pour permettre à un nombre plus important de nations d’aligner des coureurs sur ces épreuves. Comme si les qualifications ne servaient pas à déterminer les meilleurs ! Pourquoi, après les qualifications en vitesse ne pas organiser directement les quarts-de finales ou les demi-finales pour les meilleurs ? On le fait bien en poursuite individuelle aux championnats du monde.

Voilà où nous en sommes, et ce n’est pas François Pervis et ses copains de l’Equipe de France (Baugé, Sireau, d’Almeida, Bourgain, Lafargue) qui vont nous démentir, Pervis lançant même il y a peu un appel pathétique sur les journaux spécialisés pour qu’un sponsor veuille bien l’aider, ce qui fut heureusement le cas avec le Groupe Lucas. Cela étant, le fait que notre pays attende un vélodrome promis…en 1968, après les succès olympiques de Morelon, Trentin et Rebillard, est aussi pour quelque chose dans le fait que la piste française n’ait survécu que grâce à quelques entraîneurs de grand talent (Morelon, Quyntin, Vétu), et des individualités de grande classe (Rousseau, Tournant, Gané, Magné, Ermenault, Moreau, et plus récemment Baugé, Sireau et Pervis…). Heureusement ce vélodrome nous l’avons, mais sera-ce suffisant pour que les médias français s’intéressent à la piste ? J’en doute hélas, ce qui ne fera que perpétuer « le bricolage » que nous connaissons, un « bricolage » qui a eu raison de l’investissement personnel de Florian Rousseau, lequel estimait : « avec ce fonctionnement (à la FFC), je ne suis pas en mesure de faire progresser les athlètes ». Consummatum est.

Michel Escatafal